Hélas, j'ai fait une bêtise. Ce matin j'ai mis deux vêtements que j'enfile peu souvent : une veste voyante et chic qui présente l'inconvénient de ne pas avoir de poches et un pantalon bleu qui en a de trop petites. Pas pratique.
Comme je suis pressé, en enfourchant ma bête, je ne fais pas trop attention à mon I-Phone, que je pousse insuffisamment dans cette maudite ouverture trop étroite. Je file dans le couloir de bus mais la chaussée est mauvaise, des trous un peu partout sur le boulevard Haussmann, je tressaille, je tressaute, je trépigne. Et soudain, j'entends comme un bruit bizarre, un bruit métallique, un petit choc, comme un objet qui s'écrase. Mais puisque je n'ai rien dans mon coffre, je ne peux pas être concerné, je continue sur mon élan sans me retourner, bientôt, bientôt, je serai chez moi, puis à la terrasse du bistro, heureux de vivre, chaque instant, chaque minute de cette vie qui file entre mes doigts comme le sable.
D'ailleurs, j'ai été rapide, j'arrive, j'ai une surprise à faire, un petit cadeau, des boucles d'oreille, je les lui offrirai en buvant mon verre de rosé, ma femme est là, elle me sourit, nous allons partir. Je reprends mon portefeuille, je vérifie que le bijou est dans ma veste et là ... comme une gêne, une anomalie. Où est-il ? Quoi ? L'éternité ? Non ! Mon I-Phone !
J'ai dû l'oublier aux toilettes ... Rien ! A la cuisine ... Pas davantage ! Il est tombé sous le lit ? Niet ! Merde ! Putain ! Ce bruit étrange, c'était mon I-Phone !
Vite, vite, je reprends le scooter, ma femme en passager arrière. Elle est brave. En guise de pot en amoureux, elle a droit à un rush sur Malesherbes et Haussmann, tout le trajet à rebours. Comme Haussmann est en sens unique, il faut se taper un bon kilomètre à pieds, moi au milieu de la chaussée, perché de temps à autre sur les séparateurs, avec ma veste flashy, sans souci des véhicules qui foncent dans ma direction. Ma témérité fait peur aux automobilistes, ils me voient de loin et m'évitent, ils doivent me prendre pour un flic pour être aussi dingue de marcher au milieu du boulevard avec l'air de regarder dans toutes les directions.
En fait, je scrute le sol. Il n'y a presque aucune chance que je retrouve le I-Phone intact. Mais si je vois des débris, au moins je pourrais faire mon deuil et accessoirement lancer tout de suite les épouvantables formalités pour m'en procurer un autre.
Ma mie se tape le même trajet de l'autre côté du boulevard, sur le trottoir. Elle a un air suspect, une nana croit même qu'elle la drague et presse le pas. Ah, les malentendus !
Nous arrivons à Richelieu-Drouot, rien, rien de rien, pas de cadavre de I-Phone.
Je mets immédiatement en oeuvre mon protocole de vie par temps difficile : esquiver, oublier un tant soit peu les emmerdements, rechercher le plaisir. Se punir en étant heureux. On s'envoie donc deux caïpirinhas à la terrasse du Cardinal, en Happy hour. Dégueulasses ces caïpirinhas. Pour les réussir il faut être brésilien et généreux, dans ce bistro ils sont français et pingres.
Bon, voilà, il va falloir rentrer, refaire le même chemin à pieds puis le terminer là où on avait laissé le scooter. On le fait. On arrive à la maison et, là, me tombe dessus une incroyable déprime.
Je suis si triste, je pense à mon I-Phone. Cette langueur ne va pas me quitter de la soirée, elle va même me réveiller la nuit sous forme de cauchemar. Ces vilains rêves me conduisent dans un bureau tout couvert de boiseries où un supérieur hiérarchique portant un masque grotesque me fait des reproches qui ont vaguement quelque chose à voir avec mon I-Phone.
Le lendemain, j'y pense encore, affecté comme pas permis. Franchement, c'est un peu trop pour un téléphone, d'autant que j'ai déjà passé commande d'un nouveau, que dans une semaine, tout sera digéré, évacué, oublié, un mot pratique pour se donner le sentiment d'être plus fort que le temps.
Pourquoi cet abattement? De l'avarice ? Oui, sans doute, car cette plaisanterie me coûte quand même plus de 500 euros. Et encore, je ne compte pas le prix de la coque protectrice en plastique qu'une collaboratrice m'avait fait acheter pour 18 euros. Du vol. Ces pourris de chez Apple profitent honteusement d'une sorte de situation de monopole. Quant au coût du simple film protecteur à coller sur l'écran, je ne vous en parle pas, la jalousie vous ferait immédiatement cesser de me lire.
Mais tout de même, je ne suis pas si radin que cela. L'argent doit sortir, circuler, ça me calme les nerfs de dépenser, après l'habituelle et courte phase de dépression. Bien sûr, dans le cas de l'espèce, c'est vraiment du gaspillage. Mais je suis coutumier du fait.
Alors ?
Soudain, je réalise, j'avoue. Si je suis malheureux, si malheureux, c'est parce que j'aimais mon I-Phone. Oui, je l'aimais, j'aimais le caresser, le tripoter, l'avoir contre moi, le regarder souvent, de plus en plus, savoir grâce à Internet ce qu'il disait, ce qu'il pensait et ce que le murmure du monde racontait de moi, insignifiant vermisseau perdu dans le cosmos et pourtant au centre de toute chose.
C'est ici, ami lecteur, que ce texte diffère de ces innombrables petites publications merdiques à la Delerm père et fils, Houellebecq et autres scribouillards et chantouillards qui hument l'air du temps même quand il est dégueulasse et parviennent à vendre les sottises que chacun est capable de penser.
Oui : qu'on se le dise, j'ai une révélation philosophico-psychanalytique à faire à la face du monde.
Ce I-Phone, je l'aime et nous l'aimons tous (ou ses cousins Smartphones) car c'est notre cordon ombilical, il nous relie à la Mère supérieure, celle qui est partout, nous écoute, nous parle, vient à notre secours quand nous voulons babiller, gueuler, nous plaindre, entendre des voix rassurantes, savoir où l'on va.
Depuis la vierge Marie, on n'a rien fait de plus charitable que le I-Phone.
Alors, repenser au bruit odieux de l'éclatement de cette pauvre petite chose, si sainte, si pleine de bonté, c'est douloureux vous savez. Cela heurte en moi les sentiments les plus religieux, je me sens orphelin, qui me protègera ?
Vite, vite, viens vite à mon secours futur I-Phone, repose en paix ancien I-Phone.
Amen = Allo, c'est la grande égalité de notre temps.
Comme je suis pressé, en enfourchant ma bête, je ne fais pas trop attention à mon I-Phone, que je pousse insuffisamment dans cette maudite ouverture trop étroite. Je file dans le couloir de bus mais la chaussée est mauvaise, des trous un peu partout sur le boulevard Haussmann, je tressaille, je tressaute, je trépigne. Et soudain, j'entends comme un bruit bizarre, un bruit métallique, un petit choc, comme un objet qui s'écrase. Mais puisque je n'ai rien dans mon coffre, je ne peux pas être concerné, je continue sur mon élan sans me retourner, bientôt, bientôt, je serai chez moi, puis à la terrasse du bistro, heureux de vivre, chaque instant, chaque minute de cette vie qui file entre mes doigts comme le sable.
D'ailleurs, j'ai été rapide, j'arrive, j'ai une surprise à faire, un petit cadeau, des boucles d'oreille, je les lui offrirai en buvant mon verre de rosé, ma femme est là, elle me sourit, nous allons partir. Je reprends mon portefeuille, je vérifie que le bijou est dans ma veste et là ... comme une gêne, une anomalie. Où est-il ? Quoi ? L'éternité ? Non ! Mon I-Phone !
J'ai dû l'oublier aux toilettes ... Rien ! A la cuisine ... Pas davantage ! Il est tombé sous le lit ? Niet ! Merde ! Putain ! Ce bruit étrange, c'était mon I-Phone !
Vite, vite, je reprends le scooter, ma femme en passager arrière. Elle est brave. En guise de pot en amoureux, elle a droit à un rush sur Malesherbes et Haussmann, tout le trajet à rebours. Comme Haussmann est en sens unique, il faut se taper un bon kilomètre à pieds, moi au milieu de la chaussée, perché de temps à autre sur les séparateurs, avec ma veste flashy, sans souci des véhicules qui foncent dans ma direction. Ma témérité fait peur aux automobilistes, ils me voient de loin et m'évitent, ils doivent me prendre pour un flic pour être aussi dingue de marcher au milieu du boulevard avec l'air de regarder dans toutes les directions.
En fait, je scrute le sol. Il n'y a presque aucune chance que je retrouve le I-Phone intact. Mais si je vois des débris, au moins je pourrais faire mon deuil et accessoirement lancer tout de suite les épouvantables formalités pour m'en procurer un autre.
Ma mie se tape le même trajet de l'autre côté du boulevard, sur le trottoir. Elle a un air suspect, une nana croit même qu'elle la drague et presse le pas. Ah, les malentendus !
Nous arrivons à Richelieu-Drouot, rien, rien de rien, pas de cadavre de I-Phone.
Je mets immédiatement en oeuvre mon protocole de vie par temps difficile : esquiver, oublier un tant soit peu les emmerdements, rechercher le plaisir. Se punir en étant heureux. On s'envoie donc deux caïpirinhas à la terrasse du Cardinal, en Happy hour. Dégueulasses ces caïpirinhas. Pour les réussir il faut être brésilien et généreux, dans ce bistro ils sont français et pingres.
Bon, voilà, il va falloir rentrer, refaire le même chemin à pieds puis le terminer là où on avait laissé le scooter. On le fait. On arrive à la maison et, là, me tombe dessus une incroyable déprime.
Je suis si triste, je pense à mon I-Phone. Cette langueur ne va pas me quitter de la soirée, elle va même me réveiller la nuit sous forme de cauchemar. Ces vilains rêves me conduisent dans un bureau tout couvert de boiseries où un supérieur hiérarchique portant un masque grotesque me fait des reproches qui ont vaguement quelque chose à voir avec mon I-Phone.
Le lendemain, j'y pense encore, affecté comme pas permis. Franchement, c'est un peu trop pour un téléphone, d'autant que j'ai déjà passé commande d'un nouveau, que dans une semaine, tout sera digéré, évacué, oublié, un mot pratique pour se donner le sentiment d'être plus fort que le temps.
Pourquoi cet abattement? De l'avarice ? Oui, sans doute, car cette plaisanterie me coûte quand même plus de 500 euros. Et encore, je ne compte pas le prix de la coque protectrice en plastique qu'une collaboratrice m'avait fait acheter pour 18 euros. Du vol. Ces pourris de chez Apple profitent honteusement d'une sorte de situation de monopole. Quant au coût du simple film protecteur à coller sur l'écran, je ne vous en parle pas, la jalousie vous ferait immédiatement cesser de me lire.
Mais tout de même, je ne suis pas si radin que cela. L'argent doit sortir, circuler, ça me calme les nerfs de dépenser, après l'habituelle et courte phase de dépression. Bien sûr, dans le cas de l'espèce, c'est vraiment du gaspillage. Mais je suis coutumier du fait.
Alors ?
Soudain, je réalise, j'avoue. Si je suis malheureux, si malheureux, c'est parce que j'aimais mon I-Phone. Oui, je l'aimais, j'aimais le caresser, le tripoter, l'avoir contre moi, le regarder souvent, de plus en plus, savoir grâce à Internet ce qu'il disait, ce qu'il pensait et ce que le murmure du monde racontait de moi, insignifiant vermisseau perdu dans le cosmos et pourtant au centre de toute chose.
C'est ici, ami lecteur, que ce texte diffère de ces innombrables petites publications merdiques à la Delerm père et fils, Houellebecq et autres scribouillards et chantouillards qui hument l'air du temps même quand il est dégueulasse et parviennent à vendre les sottises que chacun est capable de penser.
Oui : qu'on se le dise, j'ai une révélation philosophico-psychanalytique à faire à la face du monde.
Ce I-Phone, je l'aime et nous l'aimons tous (ou ses cousins Smartphones) car c'est notre cordon ombilical, il nous relie à la Mère supérieure, celle qui est partout, nous écoute, nous parle, vient à notre secours quand nous voulons babiller, gueuler, nous plaindre, entendre des voix rassurantes, savoir où l'on va.
Depuis la vierge Marie, on n'a rien fait de plus charitable que le I-Phone.
Alors, repenser au bruit odieux de l'éclatement de cette pauvre petite chose, si sainte, si pleine de bonté, c'est douloureux vous savez. Cela heurte en moi les sentiments les plus religieux, je me sens orphelin, qui me protègera ?
Vite, vite, viens vite à mon secours futur I-Phone, repose en paix ancien I-Phone.
Amen = Allo, c'est la grande égalité de notre temps.