Acte 2 - Scène 4
(Le salon luxueux - le coprince, Rana Male, Samuel Martinet)
Le coprince
Plus que quelques minutes avant de recevoir
Cette pénible brute à grands coups d’encensoir.
Des pressions très intimes ont vaincu mes réserves.
Ah, faut-il que je frime et que je sois en verve
Pour faire son éloge en dénouant la gorge !
Samuel
Coprince, cette affaire n’est pas mince.
Des emplois par milliers, il en détient la clé.
Les journaux du matin seront dithyrambiques
Si vous nous rabattez quelques magots d’Afrique.
Quant aux journaux du soir, qui peignent tout en noir
Et vous font la morale dès qu’un prisonnier râle,
Il sera toujours temps d’afficher le montant
Des copieuses subventions dont ils sont les champions.
Le coprince
Ces contrats mon garçon ne bluffent plus que les cons.
Ce sont des clopinettes au regard de nos dettes.
Le mal est déjà fait et la presse déchaînée
Brûlera mon portrait.
Les intellectuels me voueront aux poubelles
Et les droits-de-l’hommistes moqueront un clown triste.
Rana Male
Chanoine, toujours tu as raison.
Ton sens politique me plonge en pâmoison.
Il est donc encore temps de prendre tes distances,
Redorant le blason de la glorieuse France
Critiquant vertement ce dictateur rance …
Le coprince
Mon Dieu que tu es sotte !
Je l’aurais invité pour mieux le dézinguer ?
Rien n’est pire que de changer son tir
Au moment où le doigt tripote la gâchette.
Ton idée est fort bête et ne vaut pas tripette.
Samuel
Chanoine, dans une douce liesse
Mon analyse acquiesce à ces propos empreints d’une profonde sagesse.
Contentons nous plutôt des mots soporifiques du corps diplomatique.
Quand la critique s’endort,
Bien vite s’évaporent les vaines polémiques.
Le coprince
Pomme à l’eau, tu es bien un nigaud !
D’une telle situation on ne tire rien de bon.
Quand tu parles d’éthique, se gaussent les pragmatiques.
Quand tu causes de fric, on te traite de cynique.
On vit dans une époque où tout le monde débloque.
Moi, je suis mon instinct quand j’en ai les moyens.
Le drame est qu’aujourd’hui je suis dans un pétrin
Qu’une raison d’Etat m’inflige sans débat.
Rana (compatissante)
Ce doit être bien dur, pour un chanoine si pur.
Samuel (encore plus compatissant)
Je n’ose imaginer combien c’est compliqué.
Le Chanoine
Ce soir j’en ai soupé de mon fichu métier.
Demain, hélas, encore une fois, je l’aimerai.
Quand on compte fleurette, on s’amuse, c’est la fête.
Peu après la conquête on vit une bluette
Puis très vite on s’embête et on se prend la tête.
Seules les douces habitudes donnent un peu de quiétude.
Mais, tapi, l’ennui guette.
Il nous faut inventer d’étranges coups fourrés.
On se met à la peine, on se tourmente, on se plante.
En politique itou, les débuts les plus fous
Sont les meilleurs moments.
On ne sait si l’on ment ou si l’on rêve en grand,
Ce sont les élections !
Puis revient le temps des détails, il faut nourrir le bétail.
Les Français d’aujourd’hui se partagent les restes
D’un pays qui soumit toute l’Europe à sa geste.
Aussi, c’est le dégoût qui triomphe de tout.
Je le combats en ouvrant des débats
Que la France d’en bas ne me demandait pas.
Mes ennemis ressurgissent, jamais ils ne faiblissent.
Mais au petit matin je briserai ces mutins !
(Il serre rageusement les poings, Rama et Samuel l’observent interloqués.)
Rana
Chanoine, ton énergique entrain fait de chaque lendemain,
Après les heures de peine, une victoire souveraine.
J’ai confiance en la grâce qui remet à leur place
Les gens qui te tracassent.
Samuel (qui tente de pousser Rana.)
Tôt ou tard se lasse la vile populace
Trompée par les rapaces qui en veulent à nos places.
Le chanoine
Ces langues bien pendues
Feraient mieux de m’aider à trouver le fair-play
Et l’air détaché dès lors que je verrai
l’affreux et ses mousmés d’un genre peu japonais.
Samuel (l’air pénétré)
Il faut lui prodiguer un langage qu’il connaît.
(il réfléchit)
Parlons-lui de barbouzes, de flouze et de partouzes !
Rana
Quelle erreur ce serait ! C’est une virginité
Qu’il vient en nos contrées désormais rechercher.
Le chanoine (énigmatique)
En fait de pureté je sais d’un peu trop près
Ce qui doit le tenter.
Samuel
Nos services nous disent que, depuis quelque temps,
Il ajuste ses mises, respecte ses serments.
Ses manières sont moins rudes, sa conduite assez prude.
Il paraît abattu, ses colères ont décru.
Il a des collaborateurs, pas des souffre-douleurs.
(Il s’arrête, gêné.)
Le chanoine (le regardant avec ironie)
Les plus puissants faiblissent
Et succombent aux délices de la vie d’oasis.
Moi j’envoie mes laquais d’un seul coup bien placé au bout de mes palais.
(Il le retourne et fait mine de prendre son élan pour lui botter le cul. Samuel, tétanisé, serre les fesses.)
Le chanoine
Triple andouille ne fais pas cette bouille.
Tu me prends pour un fou capable d’à peu près tout.
Je suis donc entouré de gens persuadés que je suis un timbré …
Samuel
Jamais, noble coprince, une telle pensée, ne put me perturber.
Rana (à Samuel, perfide)
Ce qu’on lit dans la presse de tes indiscrétions,
Est-ce donc une faiblesse, une affabulation ?
(Samuel prend un air outré)
Samuel
Petite sainte Nitouche maudite soit ta bouche !
Le coprince
Qui m’a fait recruter ces deux enfants gâtés ?
(à Rana)
Tous ceux qui colportent ces ragots écœurants
Seront mis à la porte car ils sont malfaisants
(à lui-même)
La vie n’est pas facile.
Il est dur d’être libre et dur d’être fidèle.
Tout ça requiert du style,
On pense être un rebelle,
On est frêle.
Si je veux être aimé par ceux que je méprise,
Si le besoin de plaire bien trop souvent me grise,
C’est que le temps me tue plus que je tue le temps.
(Il porte la main à son front et s’assoit brutalement sur un fauteuil)
Le coprince
Ou je deviens un mythe ou je suis oublié !
(Soudain, le téléphone portable du Coprince sonne.)
Le coprince
Comment ? L’affaire est dans le sac ? Vous êtes des vrais cracks.
(Il raccroche et se relève vivement.)
Ah ! Enfin une bonne nouvelle, ma foi la vie est belle.
(Il tire les oreilles de Rana et Samuel.)
Le Coprince
Mes petits garnements, au fond, je vous trouve reposants.
(Parlant vers une sortie)
Faites entrer le loup blanc.
(On entend la voix d’un huissier.)
Son excellentissime, illustrissime et richissime colonel-président Moumour Gadafi, Sauveur suprême de Cyrénaïque et Tripolitaine.
La scène s’obscurcit.
(Le salon luxueux - le coprince, Rana Male, Samuel Martinet)
Le coprince
Plus que quelques minutes avant de recevoir
Cette pénible brute à grands coups d’encensoir.
Des pressions très intimes ont vaincu mes réserves.
Ah, faut-il que je frime et que je sois en verve
Pour faire son éloge en dénouant la gorge !
Samuel
Coprince, cette affaire n’est pas mince.
Des emplois par milliers, il en détient la clé.
Les journaux du matin seront dithyrambiques
Si vous nous rabattez quelques magots d’Afrique.
Quant aux journaux du soir, qui peignent tout en noir
Et vous font la morale dès qu’un prisonnier râle,
Il sera toujours temps d’afficher le montant
Des copieuses subventions dont ils sont les champions.
Le coprince
Ces contrats mon garçon ne bluffent plus que les cons.
Ce sont des clopinettes au regard de nos dettes.
Le mal est déjà fait et la presse déchaînée
Brûlera mon portrait.
Les intellectuels me voueront aux poubelles
Et les droits-de-l’hommistes moqueront un clown triste.
Rana Male
Chanoine, toujours tu as raison.
Ton sens politique me plonge en pâmoison.
Il est donc encore temps de prendre tes distances,
Redorant le blason de la glorieuse France
Critiquant vertement ce dictateur rance …
Le coprince
Mon Dieu que tu es sotte !
Je l’aurais invité pour mieux le dézinguer ?
Rien n’est pire que de changer son tir
Au moment où le doigt tripote la gâchette.
Ton idée est fort bête et ne vaut pas tripette.
Samuel
Chanoine, dans une douce liesse
Mon analyse acquiesce à ces propos empreints d’une profonde sagesse.
Contentons nous plutôt des mots soporifiques du corps diplomatique.
Quand la critique s’endort,
Bien vite s’évaporent les vaines polémiques.
Le coprince
Pomme à l’eau, tu es bien un nigaud !
D’une telle situation on ne tire rien de bon.
Quand tu parles d’éthique, se gaussent les pragmatiques.
Quand tu causes de fric, on te traite de cynique.
On vit dans une époque où tout le monde débloque.
Moi, je suis mon instinct quand j’en ai les moyens.
Le drame est qu’aujourd’hui je suis dans un pétrin
Qu’une raison d’Etat m’inflige sans débat.
Rana (compatissante)
Ce doit être bien dur, pour un chanoine si pur.
Samuel (encore plus compatissant)
Je n’ose imaginer combien c’est compliqué.
Le Chanoine
Ce soir j’en ai soupé de mon fichu métier.
Demain, hélas, encore une fois, je l’aimerai.
Quand on compte fleurette, on s’amuse, c’est la fête.
Peu après la conquête on vit une bluette
Puis très vite on s’embête et on se prend la tête.
Seules les douces habitudes donnent un peu de quiétude.
Mais, tapi, l’ennui guette.
Il nous faut inventer d’étranges coups fourrés.
On se met à la peine, on se tourmente, on se plante.
En politique itou, les débuts les plus fous
Sont les meilleurs moments.
On ne sait si l’on ment ou si l’on rêve en grand,
Ce sont les élections !
Puis revient le temps des détails, il faut nourrir le bétail.
Les Français d’aujourd’hui se partagent les restes
D’un pays qui soumit toute l’Europe à sa geste.
Aussi, c’est le dégoût qui triomphe de tout.
Je le combats en ouvrant des débats
Que la France d’en bas ne me demandait pas.
Mes ennemis ressurgissent, jamais ils ne faiblissent.
Mais au petit matin je briserai ces mutins !
(Il serre rageusement les poings, Rama et Samuel l’observent interloqués.)
Rana
Chanoine, ton énergique entrain fait de chaque lendemain,
Après les heures de peine, une victoire souveraine.
J’ai confiance en la grâce qui remet à leur place
Les gens qui te tracassent.
Samuel (qui tente de pousser Rana.)
Tôt ou tard se lasse la vile populace
Trompée par les rapaces qui en veulent à nos places.
Le chanoine
Ces langues bien pendues
Feraient mieux de m’aider à trouver le fair-play
Et l’air détaché dès lors que je verrai
l’affreux et ses mousmés d’un genre peu japonais.
Samuel (l’air pénétré)
Il faut lui prodiguer un langage qu’il connaît.
(il réfléchit)
Parlons-lui de barbouzes, de flouze et de partouzes !
Rana
Quelle erreur ce serait ! C’est une virginité
Qu’il vient en nos contrées désormais rechercher.
Le chanoine (énigmatique)
En fait de pureté je sais d’un peu trop près
Ce qui doit le tenter.
Samuel
Nos services nous disent que, depuis quelque temps,
Il ajuste ses mises, respecte ses serments.
Ses manières sont moins rudes, sa conduite assez prude.
Il paraît abattu, ses colères ont décru.
Il a des collaborateurs, pas des souffre-douleurs.
(Il s’arrête, gêné.)
Le chanoine (le regardant avec ironie)
Les plus puissants faiblissent
Et succombent aux délices de la vie d’oasis.
Moi j’envoie mes laquais d’un seul coup bien placé au bout de mes palais.
(Il le retourne et fait mine de prendre son élan pour lui botter le cul. Samuel, tétanisé, serre les fesses.)
Le chanoine
Triple andouille ne fais pas cette bouille.
Tu me prends pour un fou capable d’à peu près tout.
Je suis donc entouré de gens persuadés que je suis un timbré …
Samuel
Jamais, noble coprince, une telle pensée, ne put me perturber.
Rana (à Samuel, perfide)
Ce qu’on lit dans la presse de tes indiscrétions,
Est-ce donc une faiblesse, une affabulation ?
(Samuel prend un air outré)
Samuel
Petite sainte Nitouche maudite soit ta bouche !
Le coprince
Qui m’a fait recruter ces deux enfants gâtés ?
(à Rana)
Tous ceux qui colportent ces ragots écœurants
Seront mis à la porte car ils sont malfaisants
(à lui-même)
La vie n’est pas facile.
Il est dur d’être libre et dur d’être fidèle.
Tout ça requiert du style,
On pense être un rebelle,
On est frêle.
Si je veux être aimé par ceux que je méprise,
Si le besoin de plaire bien trop souvent me grise,
C’est que le temps me tue plus que je tue le temps.
(Il porte la main à son front et s’assoit brutalement sur un fauteuil)
Le coprince
Ou je deviens un mythe ou je suis oublié !
(Soudain, le téléphone portable du Coprince sonne.)
Le coprince
Comment ? L’affaire est dans le sac ? Vous êtes des vrais cracks.
(Il raccroche et se relève vivement.)
Ah ! Enfin une bonne nouvelle, ma foi la vie est belle.
(Il tire les oreilles de Rana et Samuel.)
Le Coprince
Mes petits garnements, au fond, je vous trouve reposants.
(Parlant vers une sortie)
Faites entrer le loup blanc.
(On entend la voix d’un huissier.)
Son excellentissime, illustrissime et richissime colonel-président Moumour Gadafi, Sauveur suprême de Cyrénaïque et Tripolitaine.
La scène s’obscurcit.