Pitié pour les Halles ! Il faut vraiment que les Parisiens soient accablés d’autres soucis, en ces temps de crise économique, que la déculturation architecturale soit avancée dans notre pays et que les critiques et chroniqueurs soient muselés ou tétanisés, pour qu’un cri d’horreur n’ait pas été entendu dès la publication des nouvelles images de synthèse de la Canopée.
Rappelons-nous : le jury réuni par Delanoë avait sélectionné l’esquisse de Berger et Anziutti pour son caractère soi-disant aérien, poétique, délivré des règles de l’apesanteur et écologiquement correct. Cela se traduisait par un texte racoleur et par une illustration digne d’un conte de fée architectural. Maintenant que les ingénieurs ont planché sur ces fumeux concepts, cela donnerait plutôt l'image ci-dessus ou encore cela (trois autres sont disponibles sur le site de la mairie mais impossibles à télécharger sous un format visible).
Les goûts et les couleurs ne se discutent pas, paraît-il. Mais la médiocrité de ce que trament Delanoë et sa bande pour le cœur de Paris est accablante. D’abord, en fait de légèreté, il faut réaliser que, contrairement aux pavillons actuels dont les corolles ne montent à 14 mètres de hauteur qu’à quelques endroits, sur une surface en réalité très faible du quadrilatère du Forum, la Canopée le recouvrirait quasi-entièrement. Les images délivrées ont beau tourner autour du pot, le volume serait énorme et écraserait complètement le rapport à Saint-Eustache depuis l’est du site. Quand Victor Baltard avait conçu ses pavillons, il avait passé des dizaines d’heures à imaginer les relations visuelles entre les arcatures de ses constructions et les arcs-boutants de l’église, dont il respectait la présence. Cent cinquante ans plus tard, ce sujet est passé par pertes et profits par ses piètres successeurs.
Quant à l’effet de plein ciel et d’espace dégagé, seul acquis positif des années 1970, il disparaîtrait également dans cette opération. Enfin, toujours dans le registre des relations ratées entre la Canopée et son environnement immédiat, la confrontation entre ses façades latérales, sur les rues Berger et Rambuteau, et celles des médiocres hôtels et immeubles édifiés eux-aussi dans les années 70, promet d’être tout simplement épouvantable.
Passons maintenant à la forme du bâtiment lui-même, dont on nous promettait monts et merveilles. Empêtré dans les problèmes de prise au vent et d’écoulement des eaux pluviales, qu’il fallait concilier avec le principe d’un toit ondulant et avec la présence des équipements sous la toiture, il ressemble finalement, vu de face, à un gastéropode qui aurait revêtu une panoplie de Batman et, vu de profil, à un plat de lasagnes aux couleurs d’un tiramisu. On ne savait pas Berger à ce point admirateur de la cuisine de bistrot italien ! On se retrouve donc face à deux bâtiments globuleux et massifs, dignes d’une mauvaise aérogare, recouverts de deux couches de toiture affaissée, d’allure mollasse, un peu comme ces mouchoirs que les Italiens, toujours eux, se mettent sur la tête quand il fait trop chaud et qu’ils déambulent l’été.
On remarque aussi que le bâtiment serait saturé de nervures, formant comme un embrouillamini de lignes qui s’entrecroisent, fatiguant l’œil mais n’apportant rien à la dynamique de l’ouvrage. Au contraire des enchevêtrements complexes qu’on peut trouver dans les immeubles de Gehry, par exemple, il ne s’agit ici nullement d’une recherche esthétique mais de la résultante de contraintes techniques elles-mêmes nées de l’idée initiale de Mangin : un toit bas qui abriterait tous les équipements recherchés. Au moins le Carreau de Mangin avait-il une manière de cohérence minimaliste. La Canopée de Berger est boursouflée, compliquée et n’apporterait strictement rien à l’architecture d’aujourd’hui alors pourtant qu’elle serait au cœur d’une des plus belles villes du monde et bâtie sur une surface presque équivalente à celle de la place des Vosges.
Nous ne mentionnerons que pour mémoire la question du coût et de l’intérêt programmatique de cette construction. Le plan d’investissement de la ville ( voir ici) évoque 285 millions d’euros. Et tout ça pour quels équipements publics ? Essentiellement un conservatoire de musique du 1er arrondissement ! Bien plus que la force de l’œuvre, c’est le gaspillage qui serait ici monumental. A ce propos, le « Canard enchaîné » a récemment évoqué d’âpres discussions entre la ville et Unibail-Rodamco, foncière bien connue de nos lecteurs et qui est propriétaire jusqu’en 2055 des surfaces commerciales. Espérons que ledit Canard ne se soit pas fait enfumer et laquer. Car si l’intérêt d’Unibail est de racheter à vil prix la propriété définitive du Forum commercial, celui de Delanoë est de la vendre au plus vite pour se débarrasser du problème. Leur intérêt commun est donc de faire croire qu’ils discutent durement alors que la grande braderie à peut-être déjà commencé. La mairie socialiste parisienne cèdera-t-elle en catimini le centre de Paris à ce groupe, ainsi qu’elle l’a déjà fait de l’espace Champerret, dans le 17ème arrondissement (voir ici) ?
Last but not least, la question de la sécurité des millions de personnes qui transitent quotidiennement par la gare RER-RATP des Halles. Cette dernière, on l’oublie trop souvent, est l’un des lieux de trafic de passagers les plus importants au monde. Or, la Canopée a pour ambition d’augmenter davantage encore les flux entre la surface et le sous-sol et de réorienter les piétons. Mais, ce faisant, elle doit nécessairement adapter les capacités d’évacuation du public. Or, la solution avancée par Berger : un accès direct du Forum au jardin par deux escaliers mécaniques, paraît bien faiblarde. Une sortie nouvelle sur la place Marguerite de Navarre, toute proche, serait nécessaire et a été envisagée. Mais il n’en est plus question, sans doute pour des raisons financières, et il n’est du reste jamais fait mention de la contribution de la RATP ou du STIF à la résolution de ce très délicat problème.
Une question surgit alors, aussi massive que la Canopée : la Préfecture de Paris, en charge de la sécurité du site en dernier ressort, courra-t-elle le risque d’acquiescer au permis de construire avec tous ces problèmes en suspens ? Quand on voit comment Delanoë fait pleurer Margot sur la sécurité des élèves pour refuser le service minimum à l’école, on se dit que l’Etat ne devrait avoir aucune espèce de mansuétude à son égard, d’autant que les risques sont, pour le coup, gigantesques. Qui a envie de se retrouver à l’ombre en cas de pépin ?
Pauvre Paris, pauvres Halles et pauvre Berger. Il voulait faire de ce projet son chef-d’œuvre. Il s’apprête à faire encore moins bien que Willerwal, l’architecte des corolles actuelles, qui ont au moins le mérite d’une relative discrétion. Encore une victime de la malédiction des Halles, qui frappe la plupart de ceux qui se sont mêlés de ce dossier depuis la destruction du cimetière des Innocents, il y a plus de deux siècles … Quant à Delanoë, la nocivité de son passage à l’Hôtel de ville trouve ici une nouvelle et triste confirmation.
Rappelons-nous : le jury réuni par Delanoë avait sélectionné l’esquisse de Berger et Anziutti pour son caractère soi-disant aérien, poétique, délivré des règles de l’apesanteur et écologiquement correct. Cela se traduisait par un texte racoleur et par une illustration digne d’un conte de fée architectural. Maintenant que les ingénieurs ont planché sur ces fumeux concepts, cela donnerait plutôt l'image ci-dessus ou encore cela (trois autres sont disponibles sur le site de la mairie mais impossibles à télécharger sous un format visible).
Les goûts et les couleurs ne se discutent pas, paraît-il. Mais la médiocrité de ce que trament Delanoë et sa bande pour le cœur de Paris est accablante. D’abord, en fait de légèreté, il faut réaliser que, contrairement aux pavillons actuels dont les corolles ne montent à 14 mètres de hauteur qu’à quelques endroits, sur une surface en réalité très faible du quadrilatère du Forum, la Canopée le recouvrirait quasi-entièrement. Les images délivrées ont beau tourner autour du pot, le volume serait énorme et écraserait complètement le rapport à Saint-Eustache depuis l’est du site. Quand Victor Baltard avait conçu ses pavillons, il avait passé des dizaines d’heures à imaginer les relations visuelles entre les arcatures de ses constructions et les arcs-boutants de l’église, dont il respectait la présence. Cent cinquante ans plus tard, ce sujet est passé par pertes et profits par ses piètres successeurs.
Quant à l’effet de plein ciel et d’espace dégagé, seul acquis positif des années 1970, il disparaîtrait également dans cette opération. Enfin, toujours dans le registre des relations ratées entre la Canopée et son environnement immédiat, la confrontation entre ses façades latérales, sur les rues Berger et Rambuteau, et celles des médiocres hôtels et immeubles édifiés eux-aussi dans les années 70, promet d’être tout simplement épouvantable.
Passons maintenant à la forme du bâtiment lui-même, dont on nous promettait monts et merveilles. Empêtré dans les problèmes de prise au vent et d’écoulement des eaux pluviales, qu’il fallait concilier avec le principe d’un toit ondulant et avec la présence des équipements sous la toiture, il ressemble finalement, vu de face, à un gastéropode qui aurait revêtu une panoplie de Batman et, vu de profil, à un plat de lasagnes aux couleurs d’un tiramisu. On ne savait pas Berger à ce point admirateur de la cuisine de bistrot italien ! On se retrouve donc face à deux bâtiments globuleux et massifs, dignes d’une mauvaise aérogare, recouverts de deux couches de toiture affaissée, d’allure mollasse, un peu comme ces mouchoirs que les Italiens, toujours eux, se mettent sur la tête quand il fait trop chaud et qu’ils déambulent l’été.
On remarque aussi que le bâtiment serait saturé de nervures, formant comme un embrouillamini de lignes qui s’entrecroisent, fatiguant l’œil mais n’apportant rien à la dynamique de l’ouvrage. Au contraire des enchevêtrements complexes qu’on peut trouver dans les immeubles de Gehry, par exemple, il ne s’agit ici nullement d’une recherche esthétique mais de la résultante de contraintes techniques elles-mêmes nées de l’idée initiale de Mangin : un toit bas qui abriterait tous les équipements recherchés. Au moins le Carreau de Mangin avait-il une manière de cohérence minimaliste. La Canopée de Berger est boursouflée, compliquée et n’apporterait strictement rien à l’architecture d’aujourd’hui alors pourtant qu’elle serait au cœur d’une des plus belles villes du monde et bâtie sur une surface presque équivalente à celle de la place des Vosges.
Nous ne mentionnerons que pour mémoire la question du coût et de l’intérêt programmatique de cette construction. Le plan d’investissement de la ville ( voir ici) évoque 285 millions d’euros. Et tout ça pour quels équipements publics ? Essentiellement un conservatoire de musique du 1er arrondissement ! Bien plus que la force de l’œuvre, c’est le gaspillage qui serait ici monumental. A ce propos, le « Canard enchaîné » a récemment évoqué d’âpres discussions entre la ville et Unibail-Rodamco, foncière bien connue de nos lecteurs et qui est propriétaire jusqu’en 2055 des surfaces commerciales. Espérons que ledit Canard ne se soit pas fait enfumer et laquer. Car si l’intérêt d’Unibail est de racheter à vil prix la propriété définitive du Forum commercial, celui de Delanoë est de la vendre au plus vite pour se débarrasser du problème. Leur intérêt commun est donc de faire croire qu’ils discutent durement alors que la grande braderie à peut-être déjà commencé. La mairie socialiste parisienne cèdera-t-elle en catimini le centre de Paris à ce groupe, ainsi qu’elle l’a déjà fait de l’espace Champerret, dans le 17ème arrondissement (voir ici) ?
Last but not least, la question de la sécurité des millions de personnes qui transitent quotidiennement par la gare RER-RATP des Halles. Cette dernière, on l’oublie trop souvent, est l’un des lieux de trafic de passagers les plus importants au monde. Or, la Canopée a pour ambition d’augmenter davantage encore les flux entre la surface et le sous-sol et de réorienter les piétons. Mais, ce faisant, elle doit nécessairement adapter les capacités d’évacuation du public. Or, la solution avancée par Berger : un accès direct du Forum au jardin par deux escaliers mécaniques, paraît bien faiblarde. Une sortie nouvelle sur la place Marguerite de Navarre, toute proche, serait nécessaire et a été envisagée. Mais il n’en est plus question, sans doute pour des raisons financières, et il n’est du reste jamais fait mention de la contribution de la RATP ou du STIF à la résolution de ce très délicat problème.
Une question surgit alors, aussi massive que la Canopée : la Préfecture de Paris, en charge de la sécurité du site en dernier ressort, courra-t-elle le risque d’acquiescer au permis de construire avec tous ces problèmes en suspens ? Quand on voit comment Delanoë fait pleurer Margot sur la sécurité des élèves pour refuser le service minimum à l’école, on se dit que l’Etat ne devrait avoir aucune espèce de mansuétude à son égard, d’autant que les risques sont, pour le coup, gigantesques. Qui a envie de se retrouver à l’ombre en cas de pépin ?
Pauvre Paris, pauvres Halles et pauvre Berger. Il voulait faire de ce projet son chef-d’œuvre. Il s’apprête à faire encore moins bien que Willerwal, l’architecte des corolles actuelles, qui ont au moins le mérite d’une relative discrétion. Encore une victime de la malédiction des Halles, qui frappe la plupart de ceux qui se sont mêlés de ce dossier depuis la destruction du cimetière des Innocents, il y a plus de deux siècles … Quant à Delanoë, la nocivité de son passage à l’Hôtel de ville trouve ici une nouvelle et triste confirmation.