Atlantico : Dans votre livre "Français, prêts pour votre prochaine révolution ?", paru le 11 juin chez Ixelles éditions, vous faites appel à l'histoire de France à partir de la Révolution pour comprendre comment les grands mouvements réformateurs sont impulsés dans notre pays.
Le postulat de départ ne laisse-t-il pas entendre que "les Français sont des veaux", pour reprendre l'expression du Général de Gaulle, incapables qu'ils seraient de prendre les bonnes mesures avant qu'il ne soit trop tard ?
Serge Federbusch : Non, les Français ne sont ni plus ni moins intelligents que les autres peuples. L’incapacité à se réformer, origine directe de toutes les révolutions de ces deux derniers siècles et aussi de plusieurs désastres militaires, a une cause mal comprise : l’Etat, très centralisé, dans un pays vaste et socialement hétérogène, hésite en permanence entre autoritarisme et faiblesse. A la longue, il perd sa légitimité. Le suffrage universel n’y a pas changé grand chose : la représentation nationale, émiettée du fait du système des circonscriptions, peu à même de traiter des questions qui se posent de manière différenciée sur tout le territoire, subit la concurrence d’un rapport direct entre le pouvoir exécutif, les milieux d’affaires et les corporations. Le problème est que le temps joue pour ces dernières, face à des politiciens professionnels fragiles. Progressivement, l’action publique est frappée de paralysie.
Atlantico : La ressemblance entre la France de 1788 et celle de 2014 est troublante, écrivez-vous. Mais comme du temps de l'Ancien Régime, la grogne qui couve sous notre Ve République peut-elle réellement aboutir à une explosion populaire un tant soit peu comparable ?
SF : Une dynamique révolutionnaire tient à l’agrégation de forces qui ne pas sont pas forcément d’accord entre elles mais qui toutes concourent à l’objectif d’abattre le pouvoir en place. C’est le fameux «dégage» commun à toutes les rébellions triomphantes. La France de 2014 ressemble beaucoup à celle de 1788 : Etat en quasi-faillite, chômage important, perte d’autonomie de la politique économique, frustrations populaires, délégitimation des idéologues officiels, scandales à répétition. Il ne faut pas croire que la France de 1789 mourrait de faim, même si une crise frumentaire est apparue durant l’été. Hollande ne tient aujourd’hui que parce que les forces qui le contestent, de droite ou de gauche, ne se coalisent pas. Mais un événement fortuit peut temporairement les rassembler. Par la suite, l’absence de consensus sur les fondements du nouveau régime ouvre une période de troubles et d’emballement révolutionnaire.
Si les citoyens ont peur et si le système paraît figé, en l’an de disgrâce 2014 comme en 1940 ou en 1870 le fait générateur peut alors venir de l’étranger. Je pense que la crise de l’euro, qui finira par éclater car cette monnaie agit aujourd’hui comme un noeud coulant autour des économies européennes, sera ce facteur déterminant. Hollande risque de devoir dissoudre l’Assemblée nationale, la montée du vote FN rendra le parlement difficilement gouvernable et, de proche en proche, les choses peuvent partir en vrille.
Atlantico : A ceux qui vous diront que la Révolution française était d'inspiration bourgeoise, que répondez-vous ? Les Français pourraient-ils se faire déposséder de leur "Révolution de 2014", et par qui ?
SF : La révolution de 1789 était beaucoup complexe plus qu’une simple prise du pouvoir par la bourgeoisie. Du reste, si les Etats généraux ont aboli les privilèges dans la nuit du 4 août, véritable acte de naissance de la révolution, c’est parce que les députés paniquaient aux nouvelles des émeutes en province et voulaient donner des gages à la paysannerie qui se révoltait. Quant aux risques de dépossession, il est inévitable : les révolutions finissent toujours sous une férule autoritaire. Ou alors, dès que des élections libres sont organisées, le peuple vote pour des conservateurs, généralement proches de ceux qui ont été chassés par la révolution et se déguisent pour le faire oublier.
Atlantico : Avant chaque "effondrement interne" de la France (1789, 1830, 1848 et dans une moindre mesure 1958 et 1968), le scénario est-il vraiment toujours le même ? L'argument de l'histoire sans fin n'est-il pas un peu simpliste ?
SF : Non, il y a évidemment des caractéristiques propres à chaque époque. Mais ce qui est intéressant en Histoire, c’est de chercher à identifier les origines et les dynamiques communes. Depuis plus de deux cent cinquante ans, la France n’est parvenue que peu de temps à trouver une formule politique qui concilie à la fois Etat centralisé, économie libérale et système parlementaire : entre 1835 et 1845, durant l’empire libéral de Napoléon III, à la Belle époque ou sous De Gaulle et Pompidou. J’ai voulu comprendre la raison de cet échec car c’est par ce travail d’analyse qu’on peut faire des propositions pour conjurer cette sorte de malédiction historique.
Atlantico : Vous consacrez un chapitre à "l'effondrement à la suite d'un choc extérieur", comme la fin du Premier Empire ou la défaite de 1940. D'où viendrait aujourd'hui cette attaque capable de faire vaciller les institutions françaises ?
SF : La construction européenne a été une fuite en avant. Elle permet à la classe dirigeante française de continuer à endetter l’Etat à moindre coût tout en opposant un semblant de rationalité aux appétits corporatistes. C’est une situation extrêmement perverse. Mais les problèmes ne font que croître et nous sommes désormais au stade terminal du mal qui va emporter la Cinquième République.
Atlantico : "Statu quo, réforme lente sous la houlette germano-européenne, effondrement révolutionnaire puis remodelage autoritaire du pouvoir, sursaut néo-gaullien"… vous envisagez bien des scénarios. Quel remède à la situation actuelle serait le moins désagréable ?"
SF : Taper du poing sur la table pour infléchir la politique de la Banque centrale européenne afin de faire baisser substantiellement le taux de change de l’euro et profiter de ce ballon d’oxygène pour réformer profondément les institutions en réduisant le poids de l’Etat et en luttant contre la professionnalisation de la politique par le recours à la démocratie directe. Le problème est qu’aujourd’hui, en France, les adversaires les plus déterminés de l’euro n’ont d’autre ambition que de protéger le système bureaucratique, cette chose obèse et vermoulue qui étouffe notre pays.
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Serge Federbusch : Non, les Français ne sont ni plus ni moins intelligents que les autres peuples. L’incapacité à se réformer, origine directe de toutes les révolutions de ces deux derniers siècles et aussi de plusieurs désastres militaires, a une cause mal comprise : l’Etat, très centralisé, dans un pays vaste et socialement hétérogène, hésite en permanence entre autoritarisme et faiblesse. A la longue, il perd sa légitimité. Le suffrage universel n’y a pas changé grand chose : la représentation nationale, émiettée du fait du système des circonscriptions, peu à même de traiter des questions qui se posent de manière différenciée sur tout le territoire, subit la concurrence d’un rapport direct entre le pouvoir exécutif, les milieux d’affaires et les corporations. Le problème est que le temps joue pour ces dernières, face à des politiciens professionnels fragiles. Progressivement, l’action publique est frappée de paralysie.
Atlantico : La ressemblance entre la France de 1788 et celle de 2014 est troublante, écrivez-vous. Mais comme du temps de l'Ancien Régime, la grogne qui couve sous notre Ve République peut-elle réellement aboutir à une explosion populaire un tant soit peu comparable ?
SF : Une dynamique révolutionnaire tient à l’agrégation de forces qui ne pas sont pas forcément d’accord entre elles mais qui toutes concourent à l’objectif d’abattre le pouvoir en place. C’est le fameux «dégage» commun à toutes les rébellions triomphantes. La France de 2014 ressemble beaucoup à celle de 1788 : Etat en quasi-faillite, chômage important, perte d’autonomie de la politique économique, frustrations populaires, délégitimation des idéologues officiels, scandales à répétition. Il ne faut pas croire que la France de 1789 mourrait de faim, même si une crise frumentaire est apparue durant l’été. Hollande ne tient aujourd’hui que parce que les forces qui le contestent, de droite ou de gauche, ne se coalisent pas. Mais un événement fortuit peut temporairement les rassembler. Par la suite, l’absence de consensus sur les fondements du nouveau régime ouvre une période de troubles et d’emballement révolutionnaire.
Si les citoyens ont peur et si le système paraît figé, en l’an de disgrâce 2014 comme en 1940 ou en 1870 le fait générateur peut alors venir de l’étranger. Je pense que la crise de l’euro, qui finira par éclater car cette monnaie agit aujourd’hui comme un noeud coulant autour des économies européennes, sera ce facteur déterminant. Hollande risque de devoir dissoudre l’Assemblée nationale, la montée du vote FN rendra le parlement difficilement gouvernable et, de proche en proche, les choses peuvent partir en vrille.
Atlantico : A ceux qui vous diront que la Révolution française était d'inspiration bourgeoise, que répondez-vous ? Les Français pourraient-ils se faire déposséder de leur "Révolution de 2014", et par qui ?
SF : La révolution de 1789 était beaucoup complexe plus qu’une simple prise du pouvoir par la bourgeoisie. Du reste, si les Etats généraux ont aboli les privilèges dans la nuit du 4 août, véritable acte de naissance de la révolution, c’est parce que les députés paniquaient aux nouvelles des émeutes en province et voulaient donner des gages à la paysannerie qui se révoltait. Quant aux risques de dépossession, il est inévitable : les révolutions finissent toujours sous une férule autoritaire. Ou alors, dès que des élections libres sont organisées, le peuple vote pour des conservateurs, généralement proches de ceux qui ont été chassés par la révolution et se déguisent pour le faire oublier.
Atlantico : Avant chaque "effondrement interne" de la France (1789, 1830, 1848 et dans une moindre mesure 1958 et 1968), le scénario est-il vraiment toujours le même ? L'argument de l'histoire sans fin n'est-il pas un peu simpliste ?
SF : Non, il y a évidemment des caractéristiques propres à chaque époque. Mais ce qui est intéressant en Histoire, c’est de chercher à identifier les origines et les dynamiques communes. Depuis plus de deux cent cinquante ans, la France n’est parvenue que peu de temps à trouver une formule politique qui concilie à la fois Etat centralisé, économie libérale et système parlementaire : entre 1835 et 1845, durant l’empire libéral de Napoléon III, à la Belle époque ou sous De Gaulle et Pompidou. J’ai voulu comprendre la raison de cet échec car c’est par ce travail d’analyse qu’on peut faire des propositions pour conjurer cette sorte de malédiction historique.
Atlantico : Vous consacrez un chapitre à "l'effondrement à la suite d'un choc extérieur", comme la fin du Premier Empire ou la défaite de 1940. D'où viendrait aujourd'hui cette attaque capable de faire vaciller les institutions françaises ?
SF : La construction européenne a été une fuite en avant. Elle permet à la classe dirigeante française de continuer à endetter l’Etat à moindre coût tout en opposant un semblant de rationalité aux appétits corporatistes. C’est une situation extrêmement perverse. Mais les problèmes ne font que croître et nous sommes désormais au stade terminal du mal qui va emporter la Cinquième République.
Atlantico : "Statu quo, réforme lente sous la houlette germano-européenne, effondrement révolutionnaire puis remodelage autoritaire du pouvoir, sursaut néo-gaullien"… vous envisagez bien des scénarios. Quel remède à la situation actuelle serait le moins désagréable ?"
SF : Taper du poing sur la table pour infléchir la politique de la Banque centrale européenne afin de faire baisser substantiellement le taux de change de l’euro et profiter de ce ballon d’oxygène pour réformer profondément les institutions en réduisant le poids de l’Etat et en luttant contre la professionnalisation de la politique par le recours à la démocratie directe. Le problème est qu’aujourd’hui, en France, les adversaires les plus déterminés de l’euro n’ont d’autre ambition que de protéger le système bureaucratique, cette chose obèse et vermoulue qui étouffe notre pays.
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