Le 7 octobre 2009, la Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France a rendu un rapport particulièrement sévère pour la gestion de l’informatique de la ville de Paris. Ce document austère et écrit sur un ton fort prudent est passé à la trappe dès sa sortie, son existence même étant à peine mentionnée dans les médias.
Mais le Delanopolis se l'est procuré, l'a confronté à sa propre connaissance de la situation parisienne et il est en mesure de démontrer que, depuis l’élection du phénix autoproclamé de la gestion publique, la conduite des opérations informatiques relève de la pétaudière.
1 - Commençons par le commencement : la constatation de « faiblesses dans le pilotage des projets ». Tendre est la nuit ...
A travers plusieurs exemples, on découvre que la conduite des projets informatiques parisiens se fait en dépit du bon sens, ce qui entraîne des dysfonctionnements, des retards et un énorme gâchis d’argent public.
o Pour bien marquer son sérieux et la rupture avec les temps moyenâgeux d’avant l’élection du condor de la bonne gestion, la ville s’est dotée en 2002-2003, avec tambour et trompettes, d’un « Schéma directeur informatique » censé guider la politique d’investissement en la matière. Las ! La Chambre des comptes constate d’abord que « le suivi sélectif des projets dans les tableaux de bord ne permet pas à la ville d’avoir une vision consolidée de l’ensemble des projets contenus dans le schéma directeur informatique ». Puis, la Chambre cite la société Ernst &Young qui, missionnée par la ville pour faire le bilan de sa politique, propose dans son diagnostic « la mise en place d’un reporting de suivi de l’intégralité des projets via le développement d’un outil de gestion de portefeuille projets permettant d’obtenir une vue exhaustive et consolidée de l’ensemble des projets. »
En d’autres termes, les magistrats des comptes constatent que les projets, qui ont un coût variant de plusieurs centaines de milliers à plusieurs millions d’euros, font l’objet d’un pilotage à vue. Répondant à la Chambre sur ce point, « l’ordonnateur a déclaré qu’un nouveau dispositif de suivi serait prochainement mis en place. Il envisage de se doter d'un nouvel outil de reporting qui permettra de consolider les informations remontant des projets. Le secrétariat général se dotera, en outre, d'un tableau de bord stratégique ». Il serait temps, cela ne faisait que depuis 2003 que la ville disposait du fameux SDI !
o Ce ne serait malgré tout pas du luxe car le rapport de la société UNILOG ( encore une autre société missionnée par la ville pour ausculter sa politique informatique …) relève que « l’évaluation des gains et apports s’est révélée très insuffisante. » La ville a répondu à cette critique qu' «Il n'existe pas encore de dispositif rigoureux et généralisé d'évaluation des gains de productivité attachés à la mise en œuvre des projets SI. » Ah ? Plus de SDI ? En ce qui concerne l’existence d’une démarche et d’outils de contrôle de gestion des dépenses informatiques, la ville fait valoir qu' : « Aucune démarche systématique de contrôle de gestion n'a été entreprise au démarrage du SDI, en dehors du contrôle interne à la DSTI. Toutefois, une étude visant à établir le coût complet de possession du poste de travail informatique est en cours de lancement. »(Espérons qu’elle atterrira un jour…).
o Illustration de ce pilotage à vue, de nombreux projets ont dû être redéfinis en cours de route. Les magistrats constatent que le schéma directeur est peu précis en ce qui concerne la définition des priorités. L’exemple du projet « Patrimoine » est édifiant, lui qui a pris du retard dès le début du SDI. La chambre des comptes note d’ailleurs que « Cette situation est assez caractéristique de la conduite du SDI. Le projet est, dès les premières années de mise en œuvre du schéma, reconsidéré et profondément modifié (... ) ces modifications trouvent leur origine dans une expression et une définition sans doute trop rapides des besoins ».
o De ce point de vue, l’application "mairies d’arrondissement" pour les équipements de petite enfance est un modèle du genre. La prose des magistrats se passe de commentaire : « Les porteurs du projet n’avaient pas prévu, à l’origine, le développement d’un module pour gérer les commissions d’attribution des places. Le besoin existait pourtant. Ce n’est qu’en février 2004, soit plus d’un an après le début de la mise en œuvre du SDI, que le comité de pilotage du projet a décidé de prendre en compte les besoins exprimés par les mairies d’arrondissement ». Demander leur avis aux utilisateurs… et pourquoi pas pratiquer la concertation avec les riverains et usagers de la voie publique quand on remodèle les places de Paris, tant qu’on y est ?!!!
2 - « Des dérapages de coût » généralisés … (Un diamant gros comme le Ritz)…
o L’application SALSA, destinée à la gestion de l’aide sociale légale pour les personnes âgées et les personnes handicapées, avait un coût initialement estimé à 0,852M€ ; son coût total réel devrait finalement être de 1,95M€. Face à une douloureuse augmentée deux fois et demi, les rapporteurs observent : « On ne peut que s’étonner du nombre de variations, quasi trimestrielles, de l’évaluation initiale. La même remarque vaut pour la date prévisionnelle de fin d’opération. Il n’était pas cohérent de prévoir en 2005 une fin des travaux en décembre 2006, alors qu’à cette date les études de préfiguration du projet étaient seulement en cours (...) Le diagnostic réalisé par Ernst & Young en 2008 n’envisage pas la fin de l’opération avant le deuxième trimestre 2010 ».
o « GO est une application dédiée au suivi et à la gestion des opérations de travaux. Compte tenu de la faiblesse et de l’incohérence des informations contenues dans le tableau de bord de l’application, on mesure mal son utilité ». Qu’en termes élégants ces choses là sont mises !
o Le projet de gestion du courrier vaut également le détour : cette application correspond à un progiciel de gestion du courrier dont la ville a décidé de faire l’acquisition en 2003 pour en doter toutes ses entités administratives. Le déploiement généralisé du progiciel devait initialement intervenir dans le courant de l’année 2005, son déploiement a été régulièrement repoussé, le dernier tableau de bord de 2007 l’envisageant pour le 31 décembre 2011, soit avec plus de cinq ans de retard.
Mais pourquoi diable un tel retard ? Allons, allons, ne me dites pas que vous n’avez pas deviné ! Bon, pour ceux qui le souhaiteraient, voici la solution, toujours donnée par les magistrats des comptes : « L’acquisition du progiciel a été faite sans consultation véritable des utilisateurs pour connaître leurs besoins, alors qu’il existait plusieurs offres sur le marché. Le projet retenu consistait à réaliser un paramétrage unique de l’application pour l'ensemble des services, cadrait mal avec l’organisation et les pratiques des différentes directions. Ce n’est qu’en janvier 2004, alors que le progiciel était déjà acquis, que cinq ateliers d’expression des besoins ont été mis en place ».
Vous avez bien lu ! Pour gérer le courrier des services municipaux, on achète un progiciel, « sans consultation véritable », et on ne se soucie de savoir si ce truc est utilisable par les intéressés qu’un an après !
Et le reste est à l’avenant (si on ose dire vu l’évolution du coût du bastringue) : « Des comités défaillants dans la conduite du projet » ; « Des tableaux de bord qui ne retracent pas l’évolution du projet (…). Le tableau de bord ne constitue pas un bon outil d’information des acteurs. Les fiches enregistrent, avec retard, l’évolution des coûts et des échéances, mais les commentaires accompagnant le tableau n’évoquent qu’exceptionnellement le projet (deux fois). Aussi ne peut-on avoir aucune idée des raisons du retard et de l’augmentation substantielle du coût ».
Il est bien dommage que les magistrats des comptes n’aient pu se faire une idée des raisons du retard et de l’augmentation substantielle du coût car ce coût a littéralement explosé. Coût initial total : 0,501 M€ ; coût total estimé : 2,780 M€, soit une multiplication par six. Mais le meilleur est pour la fin : « Par un courrier du 25 septembre 2008, les rapporteurs de la chambre ont été informés de la décision prise par la secrétaire générale de la ville d’abandonner le projet pour les motifs ainsi exposés :
« (…) l’outil P... relève davantage de développements à la demande que d’une solution progicielle prête à l’emploi, impliquant :
- la nécessité d’établir une nouvelle expression des besoins pour chaque déploiement, soit une absence de capitalisation sur les versions déjà en production ;
- un outil non stabilisé avec risque de régression lors des montées de version ;
- des formations lourdes ;
- une assistance et une maintenance complexifiée.
(…)
Enfin, compte tenu de la nécessité d’établir une nouvelle expression de besoins pour chaque déploiement, le coût d’investissement est désormais évalué à environ 12 M € ».
Bref, si on comprend bien, la ville envisageait initialement de dépenser 500.000, puis a jeté près de 3 millions d’euros par les fenêtres et envisage désormais d’engloutir 12 millions d'euros. AU SECOURS !!!
Enquête à suivre ...
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Mais le Delanopolis se l'est procuré, l'a confronté à sa propre connaissance de la situation parisienne et il est en mesure de démontrer que, depuis l’élection du phénix autoproclamé de la gestion publique, la conduite des opérations informatiques relève de la pétaudière.
1 - Commençons par le commencement : la constatation de « faiblesses dans le pilotage des projets ». Tendre est la nuit ...
A travers plusieurs exemples, on découvre que la conduite des projets informatiques parisiens se fait en dépit du bon sens, ce qui entraîne des dysfonctionnements, des retards et un énorme gâchis d’argent public.
o Pour bien marquer son sérieux et la rupture avec les temps moyenâgeux d’avant l’élection du condor de la bonne gestion, la ville s’est dotée en 2002-2003, avec tambour et trompettes, d’un « Schéma directeur informatique » censé guider la politique d’investissement en la matière. Las ! La Chambre des comptes constate d’abord que « le suivi sélectif des projets dans les tableaux de bord ne permet pas à la ville d’avoir une vision consolidée de l’ensemble des projets contenus dans le schéma directeur informatique ». Puis, la Chambre cite la société Ernst &Young qui, missionnée par la ville pour faire le bilan de sa politique, propose dans son diagnostic « la mise en place d’un reporting de suivi de l’intégralité des projets via le développement d’un outil de gestion de portefeuille projets permettant d’obtenir une vue exhaustive et consolidée de l’ensemble des projets. »
En d’autres termes, les magistrats des comptes constatent que les projets, qui ont un coût variant de plusieurs centaines de milliers à plusieurs millions d’euros, font l’objet d’un pilotage à vue. Répondant à la Chambre sur ce point, « l’ordonnateur a déclaré qu’un nouveau dispositif de suivi serait prochainement mis en place. Il envisage de se doter d'un nouvel outil de reporting qui permettra de consolider les informations remontant des projets. Le secrétariat général se dotera, en outre, d'un tableau de bord stratégique ». Il serait temps, cela ne faisait que depuis 2003 que la ville disposait du fameux SDI !
o Ce ne serait malgré tout pas du luxe car le rapport de la société UNILOG ( encore une autre société missionnée par la ville pour ausculter sa politique informatique …) relève que « l’évaluation des gains et apports s’est révélée très insuffisante. » La ville a répondu à cette critique qu' «Il n'existe pas encore de dispositif rigoureux et généralisé d'évaluation des gains de productivité attachés à la mise en œuvre des projets SI. » Ah ? Plus de SDI ? En ce qui concerne l’existence d’une démarche et d’outils de contrôle de gestion des dépenses informatiques, la ville fait valoir qu' : « Aucune démarche systématique de contrôle de gestion n'a été entreprise au démarrage du SDI, en dehors du contrôle interne à la DSTI. Toutefois, une étude visant à établir le coût complet de possession du poste de travail informatique est en cours de lancement. »(Espérons qu’elle atterrira un jour…).
o Illustration de ce pilotage à vue, de nombreux projets ont dû être redéfinis en cours de route. Les magistrats constatent que le schéma directeur est peu précis en ce qui concerne la définition des priorités. L’exemple du projet « Patrimoine » est édifiant, lui qui a pris du retard dès le début du SDI. La chambre des comptes note d’ailleurs que « Cette situation est assez caractéristique de la conduite du SDI. Le projet est, dès les premières années de mise en œuvre du schéma, reconsidéré et profondément modifié (... ) ces modifications trouvent leur origine dans une expression et une définition sans doute trop rapides des besoins ».
o De ce point de vue, l’application "mairies d’arrondissement" pour les équipements de petite enfance est un modèle du genre. La prose des magistrats se passe de commentaire : « Les porteurs du projet n’avaient pas prévu, à l’origine, le développement d’un module pour gérer les commissions d’attribution des places. Le besoin existait pourtant. Ce n’est qu’en février 2004, soit plus d’un an après le début de la mise en œuvre du SDI, que le comité de pilotage du projet a décidé de prendre en compte les besoins exprimés par les mairies d’arrondissement ». Demander leur avis aux utilisateurs… et pourquoi pas pratiquer la concertation avec les riverains et usagers de la voie publique quand on remodèle les places de Paris, tant qu’on y est ?!!!
2 - « Des dérapages de coût » généralisés … (Un diamant gros comme le Ritz)…
o L’application SALSA, destinée à la gestion de l’aide sociale légale pour les personnes âgées et les personnes handicapées, avait un coût initialement estimé à 0,852M€ ; son coût total réel devrait finalement être de 1,95M€. Face à une douloureuse augmentée deux fois et demi, les rapporteurs observent : « On ne peut que s’étonner du nombre de variations, quasi trimestrielles, de l’évaluation initiale. La même remarque vaut pour la date prévisionnelle de fin d’opération. Il n’était pas cohérent de prévoir en 2005 une fin des travaux en décembre 2006, alors qu’à cette date les études de préfiguration du projet étaient seulement en cours (...) Le diagnostic réalisé par Ernst & Young en 2008 n’envisage pas la fin de l’opération avant le deuxième trimestre 2010 ».
o « GO est une application dédiée au suivi et à la gestion des opérations de travaux. Compte tenu de la faiblesse et de l’incohérence des informations contenues dans le tableau de bord de l’application, on mesure mal son utilité ». Qu’en termes élégants ces choses là sont mises !
o Le projet de gestion du courrier vaut également le détour : cette application correspond à un progiciel de gestion du courrier dont la ville a décidé de faire l’acquisition en 2003 pour en doter toutes ses entités administratives. Le déploiement généralisé du progiciel devait initialement intervenir dans le courant de l’année 2005, son déploiement a été régulièrement repoussé, le dernier tableau de bord de 2007 l’envisageant pour le 31 décembre 2011, soit avec plus de cinq ans de retard.
Mais pourquoi diable un tel retard ? Allons, allons, ne me dites pas que vous n’avez pas deviné ! Bon, pour ceux qui le souhaiteraient, voici la solution, toujours donnée par les magistrats des comptes : « L’acquisition du progiciel a été faite sans consultation véritable des utilisateurs pour connaître leurs besoins, alors qu’il existait plusieurs offres sur le marché. Le projet retenu consistait à réaliser un paramétrage unique de l’application pour l'ensemble des services, cadrait mal avec l’organisation et les pratiques des différentes directions. Ce n’est qu’en janvier 2004, alors que le progiciel était déjà acquis, que cinq ateliers d’expression des besoins ont été mis en place ».
Vous avez bien lu ! Pour gérer le courrier des services municipaux, on achète un progiciel, « sans consultation véritable », et on ne se soucie de savoir si ce truc est utilisable par les intéressés qu’un an après !
Et le reste est à l’avenant (si on ose dire vu l’évolution du coût du bastringue) : « Des comités défaillants dans la conduite du projet » ; « Des tableaux de bord qui ne retracent pas l’évolution du projet (…). Le tableau de bord ne constitue pas un bon outil d’information des acteurs. Les fiches enregistrent, avec retard, l’évolution des coûts et des échéances, mais les commentaires accompagnant le tableau n’évoquent qu’exceptionnellement le projet (deux fois). Aussi ne peut-on avoir aucune idée des raisons du retard et de l’augmentation substantielle du coût ».
Il est bien dommage que les magistrats des comptes n’aient pu se faire une idée des raisons du retard et de l’augmentation substantielle du coût car ce coût a littéralement explosé. Coût initial total : 0,501 M€ ; coût total estimé : 2,780 M€, soit une multiplication par six. Mais le meilleur est pour la fin : « Par un courrier du 25 septembre 2008, les rapporteurs de la chambre ont été informés de la décision prise par la secrétaire générale de la ville d’abandonner le projet pour les motifs ainsi exposés :
« (…) l’outil P... relève davantage de développements à la demande que d’une solution progicielle prête à l’emploi, impliquant :
- la nécessité d’établir une nouvelle expression des besoins pour chaque déploiement, soit une absence de capitalisation sur les versions déjà en production ;
- un outil non stabilisé avec risque de régression lors des montées de version ;
- des formations lourdes ;
- une assistance et une maintenance complexifiée.
(…)
Enfin, compte tenu de la nécessité d’établir une nouvelle expression de besoins pour chaque déploiement, le coût d’investissement est désormais évalué à environ 12 M € ».
Bref, si on comprend bien, la ville envisageait initialement de dépenser 500.000, puis a jeté près de 3 millions d’euros par les fenêtres et envisage désormais d’engloutir 12 millions d'euros. AU SECOURS !!!
Enquête à suivre ...
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