L'autre version du bling-bling ! (Merci Nardo)
L'affaire - ou plutôt les affaires - Jean-Bouin sont un de ces sacs de noeuds inextricables qui finissent par décourager les journalistes et encore plus leurs lecteurs, accablés par le mélange de considérations financières, juridiques, politiques et chronologiques qu'il faut avoir en tête pour en comprendre les tenants et les aboutissants.
Le Delanopolis va essayer de vous résumer le plus brièvement possible la situation.
L'enceinte de Jean Bouin, merveilleusement située dans un des endroits les plus valorisés de France du point de vue immobilier, contenait différents équipement sportifs et commerciaux. Les plus notables étaient un stade avec une tribune Art Déco et des courts de tennis en terre battue dont plusieurs étaient couverts l'hiver.
Le stade était utilisé par les sportifs du XVIe arrondissement et des milliers de scolaires. Véritable poumon vert du quartier, il était bordé d'une piste d'athlétisme où le grand perchiste ukrainien Serguei Bubka a passé pour la première fois les 6 mètres. La plaque commémorative de l'exploit a été emportée un beau jour par les bulldozers du premier maire socialiste de Paris et de son adjoint aux sports … communiste !
Ces lieux suscitaient maintes convoitises et, par des décisions qui ont été contestées en justice, Delanoë et sa bande en avaient attribué l'exploitation pour l'essentiel au Stade Français, alors contrôlé par Max Guazzini, "très, très proche" ami de Delanoë, pour la partie stade de rugby et à Lagardère, autre ami du maire de Paris, qui avait déjà un pied dans le club, pour son équipe de haut niveau et les courts de tennis.
L'ancien stade a été rasé en jullet 2010 et une nouvelle enceinte, coûtant au moins cent cinquante millions d'euros et aujourd'hui quasiment achevée, sera inaugurée prochainement en grandes pompes. La propagande officielle raillera certainement au passage le Parc des Princes et le béton démodé de Roger Taillibert (en réalité une oeuvre assez puissante) tandis qu'elle vantera la "fine résille" de Rudy Ricciotti (le Delanopolis vous engage à lire la prose sur la "dentelle de Ductal").
En tout cas, la cohabitation architecturale des deux bâtiments est une épouvante et on n'en oubliera pas non plus que le nouveau stade Jean-Bouin est un non-sens au regard de l'existence à Charléty d'un stade sous-employé et du faible nombre de rencontres qui s'y dérouleront. Quant aux scolaires, ils ont été expédiés à l'hippodrome d'Auteuil. Il n'est pas prêt? Qu'ils s'entassent au stade Hébert, près du lycée La Fontaine a répondu la mairie ! On va bientôt s'y tenir très chaud, avec les apprentis champions de la FFT. Mais qu'à cela ne tienne, il fallait satisfaire Guazzini.
Toutes ces décisions ont été prises à partir de 2003/2004 et ont donc été concomitantes de la candidature ratée de Paris aux Jeux olympiques de 2012, pour laquelle Delanoë a englouti des sommes dont on n'a jamais pu non plus savoir à quel montant elles s'élevaient réellement.
Le groupe Lagardère a fini par quitter Jean-Bouin la queue basse, après y avoir englouti plusieurs millions d'euros entre le soutien financier au Paris Jean-Bouin (jusqu'à 500.000 euros/an), la redevance payée par son ancien "Team" (100.000 euros/an) et les travaux qu'il avait entamés (3 à 4 millions). La FFT l'a bien vite remplacé, après une nouvelle procédure d'attribution, pour une contribution très modeste (40.000 euros de redevance fixe seulement en 2013), une fois encore grâce à la mairie de Paris, décidément bien généreuse. Parallèlement, la FFT a bien manooeuvré pour maintenir à Roland-Garros et à bon compte l'organisation de son tournoi international. On notera qu'à Jean-Bouin la FFT n'a pas encore cassé sa tire-lire pour les travaux …
Ville de Paris, Lagardère, Stade Français, FFT : que de puissances pour dévorer ce morceau de choix ! C'était sans compter sur un Petit Poucet, un courageux monsieur Picard, directeur d'une entreprise nommée Paris Tennis, évincée de ces contrats, qui a porté diverses affaires devant les tribunaux.
Entendu à son bureau par la police en 2009 Delanoë, depuis juin 2012, semblait pouvoir se rassurer. Deux délits pouvaient principalement lui être reprochés. En premier lieu celui de favoritisme, du fait de l'attribution sans mise en concurrence à Lagardère, via le club "Paris Jean Bouin", d'une sous-concession pour le tennis, après un contrat de partenariat et à Guazzini d'une sous-concession pour le rugby. En second lieu, celui de prise illégale d'intérêts, les différents bénéficiaires des décisions municipales étant des amis proches, voire "très proches" du maire selon ses propres déclarations. De plus, les conditions financières de plusieurs de ces concessions et sous-concessions pouvaient être considérées comme défavorables à la ville de Paris.
Sur le volet du favoritisme, après plusieurs rebondissements contentieux inquiétants pour Delanoë, le Conseil d'Etat a finalement décidé que, nonobstant son importance matérielle et financière, une procédure sans mise en concurrence pouvait être suivie. Sur celui de la prise illégale d'intérêt, une juge d'instruction ayant travaillé un peu vite a considéré que les liens d'amitié sus-évoqués ne suffisaient pas à la retenir, notamment du fait que Lagardère était minoritaire au comité directeur de l'association "Paris Jean-Bouin", attributaire de la concession.
Mais Picard s'est accroché, a porté l'affaire pénale en appel et, à la fureur de la mairie, la chambre d'accusation a remis son délibéré à mars, preuve que le doute est plus que possible.
On comprend le courroux delanoesque : si l'ordonnance de non-lieu est annulée, la voie serait libre pour sa mise en examen. Lui qui prie pour devenir ministre, pourrait se faire de gros soucis.
Sur le fond, quels sont les faits que Picard pointe du doigt pour démontrer que le non-lieu a été hâtivement rendu (la juge n'a même pas procédé aux auditions de tous ces aimables garnements) ?
En réalité, deux critiques majeures peuvent être adressées à la mairie et à son chef. D'abord, les statuts du Paris Jean Bouin, dans le montage retenu en 2003, donnaient voix prépondérante aux représentants de Lagardère pour la plupart des décisions importantes. Des cadres du groupe pouvaient aussi venir jouer gratuitement à Jean-Bouin même si dans les faits ce droit n'aurait pas été utilisé. L'avantage que Lagardère en a tiré était donc suffisant pour considérer qu'il bénéficiait bien d'un traitement privilégié.
De leur côté, Guazzini et le Stade Français ont obtenu une sous-concession de Paris Jean Bouin avant même que ce dernier ne soit attributaire de la concession principale. La redevance versée par Guazzini était à la limite du ridicule : 32 000 euros HT par an ! De là à imaginer que la sous-concession était le préalable à l'attribution de la concession, il n'y a qu'un pas que seuls les mauvais esprits peuvent franchir ... Bref, à travers ce montage complexe et en mettant en avant fonctionnaires et adjoints pour ne pas s'exposer directement, on comprend que Delanoë peut légitimement être soupçonné d'avoir donné un coup de pouce à Lagardère et surtout à Guazzini.
Toute cette affaire avait largement été présentée dans un article paru dans l'Equipe Magazine, voir en cliquant ICI. Curieusement, la quasi-totalité des autres médias ont, sur le moment, négligé d'en parler. Le fait nouveau principal est la procédure devant la chambre d'accusation dont nous venons de vous résumer les caractéristiques.
Soyons confiants : ces magistrats feront prévaloir la manifestation de la vérité sur toute autre considération. Au nom du peuple français ... qui inclut aussi le peuple parisien !