FIGAROVOX.- Dans votre ouvrage, vous citez René Char: «La parole soulève plus de terre que le fossoyeur ne le peut». Est-ce l'épitaphe politique de François Hollande?
Serge FEDERBUSCH.- C'est plutôt un message d'espoir: les mensonges et les enfumages de François Hollande ont certes fait perdre cinq précieuses années à la France. Mais le fait de les comprendre et de les dénoncer, d'être capable de les concevoir est déjà le début de la cure, de la rémission.
En ce sens, l'analyse est plus forte que le problème, la solution que la difficulté, la parole que le fossoyeur.
Encore faut-il avoir le courage de dresser ce bilan, surtout quand les faits et chiffres sont manipulés constamment comme ils l'ont été par François Hollande. J'ai donc mis en évidence le glissement continu de notre pays du statut d'élève moyen à cancre dans à peu près tous les domaines de la vie internationale. En partant de ce constat on peut imaginer les solutions.
N'y a-t-il donc rien à sauver dans le quinquennat de François Hollande?
Nous avons désormais le recul pour mesurer la gravité de la situation. C'est en 2012 et pas en 2017 que la France avait la dernière chance de s'en sortir sans risquer l'effondrement. Je crains que le quinquennat Hollande nous ait fait atteindre un point de non-retour dont nous sentons d'ailleurs les effets dans les turbulences politiques actuelles.
La dette publique est désormais trop importante, détenue par des non-résidents, nous avons trop compté sur la politique accommodante de Mario Draghi et de la Banque centrale européenne, notre souveraineté monétaire et politique a filé à Francfort.
La France est plombée par ces trois maux : un abandon à une construction européenne elle-même gravement malade, un État hypertrophié et un communautarisme qui se répand de plus en plus ouvertement.
Aucune réforme sérieuse de l'énorme bureaucratie publique n'a été entreprise. Le poids de l'État et des collectivités locales a continué de croître jusqu'à l'obésité. Parallèlement, trop de concessions ont été faites à l'islam réactionnaire, les salafistes ont accru leur contrôle sur les banlieues. La France est plombée par ces trois maux: un abandon à une construction européenne elle-même gravement malade, un État hypertrophié et un communautarisme qui se répand de plus en plus ouvertement. Il faudrait à un futur pouvoir une clairvoyance et une capacité de résister aux peurs des Français que personne n'a plus. Voyez-vous, dans le lot des candidats, un président capable à la fois d'affronter les syndicats, les fonctionnaires, l'Allemagne, les milieux financiers, les médias, les islamistes, etc.?
Les analystes politiques considèrent souvent avec moins de sévérité le bilan de François Hollande comme chef de guerre au Mali ou comme garant de l'unité nationale après les attentats. Partagez-vous ce constat?
Je suis beaucoup plus sévère que la plupart des autres analystes sur ces sujets aussi. Il suffit de lire les conclusions de la commission parlementaire sur les crimes de novembre 2015, de se remémorer les conditions extravagantes de la cavale des frères Kouachi au moment de Charlie Hebdo ou les faillites des systèmes de sécurité et de renseignement dans le massacre de la promenade des Anglais à Nice pour réaliser que l'État a gravement dysfonctionné à plusieurs reprises.
On l'oublie un peu vite mais François Hollande a joué avec le feu, seul homme politique occidental par exemple à provoquer Daech en se rendant près du front en Syrie, sans au même moment en tirer les conséquences nécessaires en matière de sécurité intérieure. Cette seule inconséquence suffirait à le disqualifier.
Le fiasco de notre politique en Orient est évident. Quant au fiasco de notre politique en Orient précisément, il est évident. Nous avons joué au supplétif des Américains alors qu'ils ne voulaient même pas qu'on tienne ce rôle et ne savaient pas d'ailleurs pas, avec Obama, quelle attitude adopter.
Ne peut-on pas dire que François Hollande est en partie un bouc émissaire, qui cache un échec davantage collectif?
Peu de décisions importantes, pour ne pas dire aucune, ont été prises sans qu'il en soit l'ordonnateur final. Il s'est glissé avec gourmandise dans l'habit du chef suprême taillé par la constitution de 1958 revue et corrigée en 1962. Il est donc normal qu'il en paie le prix. Le problème réside plutôt dans le fait que cette concentration de pouvoirs est concomitante d'un transfert de souveraineté lié à notre affaiblissement en Europe. François Hollande était tout-puissant à la tête d'une machine impuissante. D'où son impopularité quand les Français ont senti l'incapacité réelle derrière sa force purement théorique.
François Mitterrand avait dit qu'après lui, il n'y aurait plus de président, mais seulement des comptables. François Hollande incarne-t-il la prophétie de son prédécesseur?
Hélas, la seule comptabilité qui vaille est désormais celle de notre dette et de la folle avancée des dépenses publiques qui paraît incontrôlable. Le système autoproclamé «modèle social français» part à vau-l'eau, incapable de se financer. Tout l'art de François Hollande a consisté à pressurer le plus discrètement possible celles qui peuvent encore être mises à contribution: les classes moyennes. Les grandes fortunes et les entreprises peuvent se partir à l'étranger ou faire du chantage à l'emploi. Passé le temps de la rhétorique sur la «finance ennemie», François Hollande a donc dû les laisser tranquilles.
Les banlieues et les différentes catégories assistées peuvent s'embraser et les maintenir sous perfusion ne coûte pas si cher: elles ont donc eu le minimum requis pour se tenir tranquilles. Les familles de cadres moyens et supérieurs ont été essorées. Ce sont les familles de cadres moyens et supérieurs qui ont été essorées par un ensemble de mesures sur le quotient familial, le barème de l'impôt sur le revenu et les allocations familiales. Ce sont pourtant elles qui avaient une vitalité démographique susceptible d'éviter que les populations d'origine immigrée n'accentuent le risque de sécession communautariste.
François Hollande est à l'origine un Européen convaincu. Dans «Un président ne devrait pas dire ça», il est beaucoup moins optimiste, semblant même considérer que la construction européenne a atteint un point de non-retour. Que pensez-vous du bilan européen de François Hollande?
François Hollande, ici comme ailleurs, a joué au plus malin et à la roublardise. Il a profité de la crise grecque, du terrorisme et des migrants pour faire peur aux Allemands et à la bureaucratie de Bruxelles en obtenant qu'ils laissent la France continuer à vivre en déficit. Les concessions aux demandes «austéritaires» de Bruxelles étaient ce que les Anglo-Saxons nomment un «lip-service»: François Hollande les a payés de belles paroles. Il a certes épargné ainsi aux Français de se serrer la ceinture davantage, mais aucun des problèmes qui nous accablent n'a été traité réellement ; désindustrialisation, endettement, islamisation progressent de plus belle.
On dit souvent de l'action du président qu'il est malin. Emmanuel Macron incarne un positionnement politique social-libéral peu ou prou dans la lignée du quinquennat de François Hollande. Emmanuel Macron n'est-il pas le disciple de celui que les Français rejettent aujourd'hui massivement?
Tout à fait. Au fond, les Français ne peuvent ni ne veulent payer leurs énormes dettes.
Macron, par ses mesures qui sont un catalogue de faux-fuyants, où les efforts sont renvoyés à des dates indéterminées, comme en matière de retraite ; où la distribution des crédits publics continue, est le parfait continuateur de Hollande. C'est un Tancrède façon prince de Lampedusa: il faut que l'apparence du chef change pour que rien ne change, qu'un discours «révolutionnaire» habille le surplace technocratique. Les Français qui ont été dupés par Hollande s'apprêtent à l'être par son clone, sa version 2.0: Macron. Mais au fond, ce sont de faux naïfs, ils espèrent surtout échapper aux efforts du redressement.
Si d'aventure Macron était élu, la caste oligarchique qui tire les ficelles en France serait ouvertement et clairement aux responsabilités. On verrait l'Inspection des finances et la banque d'affaires à l'œuvre en position frontale. Si le système s'effondre, ils seront donc en première ligne. Ce qui est finalement plutôt sain car la justice consiste à ce que les responsables soient déclarés coupables. Mais, d'ici là, il peut se passer bien des choses et notamment une absence de majorité parlementaire qui précipiterait la crise. Tout serait alors cumulatif: la défiance favoriserait la hausse des taux d'intérêt qui menacerait les budgets publics puis l'euro.
Le quinquennat Hollande n'a été qu'un abri illusoire auquel les Français n'auront pas cru longtemps car il laissait passer le vent et la pluie.
Serge FEDERBUSCH.- C'est plutôt un message d'espoir: les mensonges et les enfumages de François Hollande ont certes fait perdre cinq précieuses années à la France. Mais le fait de les comprendre et de les dénoncer, d'être capable de les concevoir est déjà le début de la cure, de la rémission.
En ce sens, l'analyse est plus forte que le problème, la solution que la difficulté, la parole que le fossoyeur.
Encore faut-il avoir le courage de dresser ce bilan, surtout quand les faits et chiffres sont manipulés constamment comme ils l'ont été par François Hollande. J'ai donc mis en évidence le glissement continu de notre pays du statut d'élève moyen à cancre dans à peu près tous les domaines de la vie internationale. En partant de ce constat on peut imaginer les solutions.
N'y a-t-il donc rien à sauver dans le quinquennat de François Hollande?
Nous avons désormais le recul pour mesurer la gravité de la situation. C'est en 2012 et pas en 2017 que la France avait la dernière chance de s'en sortir sans risquer l'effondrement. Je crains que le quinquennat Hollande nous ait fait atteindre un point de non-retour dont nous sentons d'ailleurs les effets dans les turbulences politiques actuelles.
La dette publique est désormais trop importante, détenue par des non-résidents, nous avons trop compté sur la politique accommodante de Mario Draghi et de la Banque centrale européenne, notre souveraineté monétaire et politique a filé à Francfort.
La France est plombée par ces trois maux : un abandon à une construction européenne elle-même gravement malade, un État hypertrophié et un communautarisme qui se répand de plus en plus ouvertement.
Aucune réforme sérieuse de l'énorme bureaucratie publique n'a été entreprise. Le poids de l'État et des collectivités locales a continué de croître jusqu'à l'obésité. Parallèlement, trop de concessions ont été faites à l'islam réactionnaire, les salafistes ont accru leur contrôle sur les banlieues. La France est plombée par ces trois maux: un abandon à une construction européenne elle-même gravement malade, un État hypertrophié et un communautarisme qui se répand de plus en plus ouvertement. Il faudrait à un futur pouvoir une clairvoyance et une capacité de résister aux peurs des Français que personne n'a plus. Voyez-vous, dans le lot des candidats, un président capable à la fois d'affronter les syndicats, les fonctionnaires, l'Allemagne, les milieux financiers, les médias, les islamistes, etc.?
Les analystes politiques considèrent souvent avec moins de sévérité le bilan de François Hollande comme chef de guerre au Mali ou comme garant de l'unité nationale après les attentats. Partagez-vous ce constat?
Je suis beaucoup plus sévère que la plupart des autres analystes sur ces sujets aussi. Il suffit de lire les conclusions de la commission parlementaire sur les crimes de novembre 2015, de se remémorer les conditions extravagantes de la cavale des frères Kouachi au moment de Charlie Hebdo ou les faillites des systèmes de sécurité et de renseignement dans le massacre de la promenade des Anglais à Nice pour réaliser que l'État a gravement dysfonctionné à plusieurs reprises.
On l'oublie un peu vite mais François Hollande a joué avec le feu, seul homme politique occidental par exemple à provoquer Daech en se rendant près du front en Syrie, sans au même moment en tirer les conséquences nécessaires en matière de sécurité intérieure. Cette seule inconséquence suffirait à le disqualifier.
Le fiasco de notre politique en Orient est évident. Quant au fiasco de notre politique en Orient précisément, il est évident. Nous avons joué au supplétif des Américains alors qu'ils ne voulaient même pas qu'on tienne ce rôle et ne savaient pas d'ailleurs pas, avec Obama, quelle attitude adopter.
Ne peut-on pas dire que François Hollande est en partie un bouc émissaire, qui cache un échec davantage collectif?
Peu de décisions importantes, pour ne pas dire aucune, ont été prises sans qu'il en soit l'ordonnateur final. Il s'est glissé avec gourmandise dans l'habit du chef suprême taillé par la constitution de 1958 revue et corrigée en 1962. Il est donc normal qu'il en paie le prix. Le problème réside plutôt dans le fait que cette concentration de pouvoirs est concomitante d'un transfert de souveraineté lié à notre affaiblissement en Europe. François Hollande était tout-puissant à la tête d'une machine impuissante. D'où son impopularité quand les Français ont senti l'incapacité réelle derrière sa force purement théorique.
François Mitterrand avait dit qu'après lui, il n'y aurait plus de président, mais seulement des comptables. François Hollande incarne-t-il la prophétie de son prédécesseur?
Hélas, la seule comptabilité qui vaille est désormais celle de notre dette et de la folle avancée des dépenses publiques qui paraît incontrôlable. Le système autoproclamé «modèle social français» part à vau-l'eau, incapable de se financer. Tout l'art de François Hollande a consisté à pressurer le plus discrètement possible celles qui peuvent encore être mises à contribution: les classes moyennes. Les grandes fortunes et les entreprises peuvent se partir à l'étranger ou faire du chantage à l'emploi. Passé le temps de la rhétorique sur la «finance ennemie», François Hollande a donc dû les laisser tranquilles.
Les banlieues et les différentes catégories assistées peuvent s'embraser et les maintenir sous perfusion ne coûte pas si cher: elles ont donc eu le minimum requis pour se tenir tranquilles. Les familles de cadres moyens et supérieurs ont été essorées. Ce sont les familles de cadres moyens et supérieurs qui ont été essorées par un ensemble de mesures sur le quotient familial, le barème de l'impôt sur le revenu et les allocations familiales. Ce sont pourtant elles qui avaient une vitalité démographique susceptible d'éviter que les populations d'origine immigrée n'accentuent le risque de sécession communautariste.
François Hollande est à l'origine un Européen convaincu. Dans «Un président ne devrait pas dire ça», il est beaucoup moins optimiste, semblant même considérer que la construction européenne a atteint un point de non-retour. Que pensez-vous du bilan européen de François Hollande?
François Hollande, ici comme ailleurs, a joué au plus malin et à la roublardise. Il a profité de la crise grecque, du terrorisme et des migrants pour faire peur aux Allemands et à la bureaucratie de Bruxelles en obtenant qu'ils laissent la France continuer à vivre en déficit. Les concessions aux demandes «austéritaires» de Bruxelles étaient ce que les Anglo-Saxons nomment un «lip-service»: François Hollande les a payés de belles paroles. Il a certes épargné ainsi aux Français de se serrer la ceinture davantage, mais aucun des problèmes qui nous accablent n'a été traité réellement ; désindustrialisation, endettement, islamisation progressent de plus belle.
On dit souvent de l'action du président qu'il est malin. Emmanuel Macron incarne un positionnement politique social-libéral peu ou prou dans la lignée du quinquennat de François Hollande. Emmanuel Macron n'est-il pas le disciple de celui que les Français rejettent aujourd'hui massivement?
Tout à fait. Au fond, les Français ne peuvent ni ne veulent payer leurs énormes dettes.
Macron, par ses mesures qui sont un catalogue de faux-fuyants, où les efforts sont renvoyés à des dates indéterminées, comme en matière de retraite ; où la distribution des crédits publics continue, est le parfait continuateur de Hollande. C'est un Tancrède façon prince de Lampedusa: il faut que l'apparence du chef change pour que rien ne change, qu'un discours «révolutionnaire» habille le surplace technocratique. Les Français qui ont été dupés par Hollande s'apprêtent à l'être par son clone, sa version 2.0: Macron. Mais au fond, ce sont de faux naïfs, ils espèrent surtout échapper aux efforts du redressement.
Si d'aventure Macron était élu, la caste oligarchique qui tire les ficelles en France serait ouvertement et clairement aux responsabilités. On verrait l'Inspection des finances et la banque d'affaires à l'œuvre en position frontale. Si le système s'effondre, ils seront donc en première ligne. Ce qui est finalement plutôt sain car la justice consiste à ce que les responsables soient déclarés coupables. Mais, d'ici là, il peut se passer bien des choses et notamment une absence de majorité parlementaire qui précipiterait la crise. Tout serait alors cumulatif: la défiance favoriserait la hausse des taux d'intérêt qui menacerait les budgets publics puis l'euro.
Le quinquennat Hollande n'a été qu'un abri illusoire auquel les Français n'auront pas cru longtemps car il laissait passer le vent et la pluie.