Dui-bu-qi, comme on dit à Pékin, mais non, fichtre non, ces "seigneurs de la guerre" ne méritent pas qu'on les proclame vainqueurs sur le champ de bataille.
Depuis une dizaine d'année, le merveilleux cinéma chinois, taïwanais et hong-kongais, qui produisait des oeuvres étincelantes quand il était fait de bric et de broc et sans complexe, a tendance à s'enliser dans la prétention et l'argent. On se souvient avec regret, parmi vingt exemples, du "syndicat du crime" de John Woo ou, mieux encore, de l'incomparable "All the kings men" de King Hu, réflexion sur le pouvoir, la vanité et le hasard digne d'une pièce de Shakespeare, on peut l'écrire sans emphase.
Puis la grosse machinerie s'est mise en place et les Chinois ont voulu pousser trop loin leur avantage comparatif : une pléthore de figurants et de couturières bon marché qui permet d'en imposer par les costumes et les décors. Mais l'inspiration et la fantaisie s'en sont allées.
Les "seigneurs de la guerre" de Peter Chan sont une illustration caricaturale de ce déclin. "Le plus grand succès cinématographique de tous les temps en Asie" proclamait l'affiche. Ce coup de clairon rendait méfiant. Malgré ses 40 millions de dollars de budget, ses recettes encore supérieures (merci pour les producteurs) et ses récompenses chèrement acquises dans des festivals endogames, le film est décousu et dépourvu de toute capacité à susciter l'émotion. On préfèrera, sur le même thème, "Blood Brothers” réalisé par Chang Cheh et produit par la Shaw Brothers en 1973.
Malgré son évidente sincérité dans le rôle, Jet Li est mièvre et les autres acteurs sont ridicules à vouloir accuser les mimiques pour tenter de faire passer leurs sentiments au milieu de cette débauche de sabres et d'hémoglobine. Jet Li était en passe de s'imposer comme le digne successeur de Jackie Chan, qui marquera l'histoire du cinéma de ses sympathiques cabrioles et de sa bonne humeur, adulées à juste titre par des centaines de millions d'admirateurs. S'il continue comme cela, Jet Li nous fera bientôt baîller, ce qui signerait l'arrêt de mort de sa carrière et ce serait fort dommage.
Cela étant, "les seigneurs de la guerre" sont intéressants par ce qu'ils nous disent de l'évolution récente du nationalisme chinois.
Le film se situe à la fin de l'insurrection des Taïpings, au dix-neuvième siècle, quand un pouvoir mi-communiste mi-chrétien, empreint de puritanisme mais authentiquement soucieux de lutter contre les abominables inégalités sociales de l'empire des Qing, était sur le point de sombrer, emporté par la contre-révolution et, surtout, la corruption interne. La filiation entre Taïpings et communistes, à guère plus de cinquante années de distance, est évidente et a d'ailleurs été finalement admise par les idéologues du PCC.
Longtemps, et malgré l'influence assez distante du parti sur la production cinématographique continentale, la révolte des Taïpings était soit dédaignée par les réalisateurs chinois, soit montrée comme primitive et sanguinaire. Il faut dire qu'elle fit des dizaines de millions de victimes, ce qu'on a oublié aujourdhui.
L'intérêt des "seigneurs de la guerre", alors pourtant que les personnages principaux sont issus des rangs impériaux, est de réhabiliter peu à peu les insurgés "en creux", en montrant la violence, la félonie et l'absence complète de scrupule qui règnent au sein de la dynastie et qui finissent par détruire toute forme d'amitié, y compris celle acquise au prix du sang.
Depuis une bonne trentaine d'année, le cinéma chinois, toute spécificité régionale confondue, avait tendance à valoriser la légitimité technocratique du pouvoir central et à dévaloriser les mouvements populaires. Avec "les seigneurs de la guerre", on voit poindre le retournement du balancier. A quand un film à la gloire du Mao de la longue marche, celui de l'insurrection populaire et non le despote oriental qui se rêvait successeur du Fils du Ciel ? Ce serait le premier bourgeon néocommuniste dans la culture contemporaine chinoise.
Depuis une dizaine d'année, le merveilleux cinéma chinois, taïwanais et hong-kongais, qui produisait des oeuvres étincelantes quand il était fait de bric et de broc et sans complexe, a tendance à s'enliser dans la prétention et l'argent. On se souvient avec regret, parmi vingt exemples, du "syndicat du crime" de John Woo ou, mieux encore, de l'incomparable "All the kings men" de King Hu, réflexion sur le pouvoir, la vanité et le hasard digne d'une pièce de Shakespeare, on peut l'écrire sans emphase.
Puis la grosse machinerie s'est mise en place et les Chinois ont voulu pousser trop loin leur avantage comparatif : une pléthore de figurants et de couturières bon marché qui permet d'en imposer par les costumes et les décors. Mais l'inspiration et la fantaisie s'en sont allées.
Les "seigneurs de la guerre" de Peter Chan sont une illustration caricaturale de ce déclin. "Le plus grand succès cinématographique de tous les temps en Asie" proclamait l'affiche. Ce coup de clairon rendait méfiant. Malgré ses 40 millions de dollars de budget, ses recettes encore supérieures (merci pour les producteurs) et ses récompenses chèrement acquises dans des festivals endogames, le film est décousu et dépourvu de toute capacité à susciter l'émotion. On préfèrera, sur le même thème, "Blood Brothers” réalisé par Chang Cheh et produit par la Shaw Brothers en 1973.
Malgré son évidente sincérité dans le rôle, Jet Li est mièvre et les autres acteurs sont ridicules à vouloir accuser les mimiques pour tenter de faire passer leurs sentiments au milieu de cette débauche de sabres et d'hémoglobine. Jet Li était en passe de s'imposer comme le digne successeur de Jackie Chan, qui marquera l'histoire du cinéma de ses sympathiques cabrioles et de sa bonne humeur, adulées à juste titre par des centaines de millions d'admirateurs. S'il continue comme cela, Jet Li nous fera bientôt baîller, ce qui signerait l'arrêt de mort de sa carrière et ce serait fort dommage.
Cela étant, "les seigneurs de la guerre" sont intéressants par ce qu'ils nous disent de l'évolution récente du nationalisme chinois.
Le film se situe à la fin de l'insurrection des Taïpings, au dix-neuvième siècle, quand un pouvoir mi-communiste mi-chrétien, empreint de puritanisme mais authentiquement soucieux de lutter contre les abominables inégalités sociales de l'empire des Qing, était sur le point de sombrer, emporté par la contre-révolution et, surtout, la corruption interne. La filiation entre Taïpings et communistes, à guère plus de cinquante années de distance, est évidente et a d'ailleurs été finalement admise par les idéologues du PCC.
Longtemps, et malgré l'influence assez distante du parti sur la production cinématographique continentale, la révolte des Taïpings était soit dédaignée par les réalisateurs chinois, soit montrée comme primitive et sanguinaire. Il faut dire qu'elle fit des dizaines de millions de victimes, ce qu'on a oublié aujourdhui.
L'intérêt des "seigneurs de la guerre", alors pourtant que les personnages principaux sont issus des rangs impériaux, est de réhabiliter peu à peu les insurgés "en creux", en montrant la violence, la félonie et l'absence complète de scrupule qui règnent au sein de la dynastie et qui finissent par détruire toute forme d'amitié, y compris celle acquise au prix du sang.
Depuis une bonne trentaine d'année, le cinéma chinois, toute spécificité régionale confondue, avait tendance à valoriser la légitimité technocratique du pouvoir central et à dévaloriser les mouvements populaires. Avec "les seigneurs de la guerre", on voit poindre le retournement du balancier. A quand un film à la gloire du Mao de la longue marche, celui de l'insurrection populaire et non le despote oriental qui se rêvait successeur du Fils du Ciel ? Ce serait le premier bourgeon néocommuniste dans la culture contemporaine chinoise.