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Psychopolis : allongez-vous et parlez, l'Autriche-Hongrie vous écoute !




Ah l'Autriche-Hongrie, cette mosaïque de peuples, ce bain de vapeurs culturelles où les bourgeois firent ramollir leurs carcans ! Cet empire polycentrique où chaque nation voulait démontrer qu'elle n'avait rien à envier à sa voisine et où l'on cherchait à calmer les emportements patriotiques par le développement économique fut un creuset intellectuel dont l'héritage est encore fécond, alors qu'un siècle nous séparera bientôt de sa funeste disparition.

C.C. Jung, qui pensait que les coïncidences ont un sens, serait amusé d'apprendre que, d'un film de Cronenberg à une mission impossible hollywoodienne en passant par un hommage à des collectionneurs aussi différents que les Stein ou Marcell Nemes, ou même à une exposition sur les jouets au Grand Palais, le Delanopolis croisa souvent le fantôme de la double monarchie ces derniers temps.



Blanche Sphynge et vilain Sigmund
Blanche Sphynge et vilain Sigmund
David Cronenberg sait filmer et trouver des sujets, nul ne ne niera. En se confrontant à Freud et Jung, à leur relation de maître à disciple contrariée et aux débuts cahotiques de la psychanalyse, il n'a pas choisi une tâche facile. Sans doute a-t-il placé la barbiche trop haut. Une discipline faite de séances thérapeutiques brèves et d'une cure illimitée dans sa durée ne se prête pas facilement au traitement cinématographique. Le sujet est tentant mais peu de cinéastes ont réussi a en tirer quelque chose d'intéressant. Quoi qu'il en soit, Cronenberg trébuche dès le début du film : voilà Keira Knightley (excellente dans un rôle difficile), patiente en pleine crise hystérique, déballant à la première question de Jung et en moins de trente secondes tout le passé trouble des fessées paternelles qui lui procuraient tant de plaisir ! Par la suite, Cronenberg erre de manière désordonnée de Freud à Jung, de séances psychotérapeuthiques en digressions verbeuses sur le devenir de la discipline et de raccourcis psychologiques en épisodes sado-masos. Il fallait moins parler pour en dire davantage, ce qui n'est pas facile vu le sujet.

A propos d'empire austro-hongrois, et même si la chose n'est pas simple, nous conseillons à ceux qui le peuvent d'aller voir au Szépművészeti Múzeum de Budapest l'hommage à ce grand collectionneur que fut Marcell Nemes, un des premiers amateurs modernes du Gréco, mécène des jeunes artistes magyars, propriétaire avant Peggy Guggenheim du Palazzo Verier dei leoni à Venise et donateur important, y compris au musée du Louvre (un portrait de Gainsborough pour tenter d'enrichir le fonds cruellement pauvre de peintures anglaises). Un esprit éclairé au bord du beau Danube bleu.

Et par quoi croyez-vous que "Mission Impossible : le protocole fantôme", dernière fanfaronnade de Tom Cruise, commence ? Par une vue aérienne de Budapest, où l'un de ces complots sans queue ni tête qui font les trames de ce film inutile est ourdi. Etrange coïncidence ...

De même, si vous avez la bonne idée de visiter l'exposition sur les jouets au Grand Palais, vous pourrez, au détour d'une salle, vous amuser à voir le portrait de François-Joseph Ier enfant, jouant à la guerre et peint par Waldmuller. Il aurait mieux fait de se méfier quelques décennies plus tard avant de s'en prendre à la Serbie sous prétexte qu'on lui avait zigouillé un neveu qui en fait le détestait ... Cette visite vous donnera également l'occasion de découvrir le somptueux cadeau de la France, en 1938, à Elizabeth et Margaret d'Angleterre, alors fort jeunes princesses, à l'occasion du passage de leurs parents à Paris : un trousseau complet griffé des plus grands couturiers, un modèle réduit magnifique d'une Citroën de l'époque. Quand je pense que j'aurais pu être roi d'Angleterre et que le sort a fait de moi un obscur bureaucrate français !

En admirant les impressionnantes collections réunies par la tribu Stein, au même Grand Palais, vous pouvez vous dire que cela n'a rien à voir avec l'Autriche-Hongrie mais uniquement avec les Etats-Unis et la France. Sauf que ... c'est par un long séjour à Vienne que cette famille découvrit l'Europe et sa culture et que ses rejetons eurent envie d'aller un jour d'établir à Paris ! L'empire est partout.

Bref, plutôt que se s'enquiquiner à sauver une Union européenne en capilotade, il vaudrait mieux s'employer à ressusciter ce pays innovant, tolérant et prospère.



Vendredi 30 Décembre 2011
Serge Federbusch





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