Aujourd’hui, ce sont les meilleurs ennemis du monde. Hollande et Sarkozy se critiquent sans relâche et personne n’est dupe du petit jeu qui consiste à écarter ainsi leurs adversaires respectifs, à droite comme à gauche, en leur faisant le coup du silence et du mépris. Les tiers n’existent plus que comme des figurants. Seuls comptent les deux protagonistes de 2012 qui se sélectionnent mutuellement pour jouer dans la cour des grands.
Et ça marche ! Juppé donne l’impression de passer une épreuve de l’ENA dont le programme serait : « Modération et quant-à-soi » dans un pays où près de 240 personnes ont été assassinées en dix-huit mois par un fascisme d’un genre nouveau, le fascisme coranique. Dans ce même pays, déambulent des centaines de milliers de femmes accoutrées d’un voile bigot dont on peut facilement se dire que, vu les circonstances, il constitue un signe d’adhésion à une pratique réactionnaire de l’islam qui se distingue mal de l’idéologie de ceux qui s’en prennent violemment aux caricaturistes de Mahomet.
Mais Alain Juppé ne s’en émeut pas. Son identité heureuse peut facilement passer pour une identité peureuse.
Sarkozy au contraire fustige Hollande sur ces sujets. Et Hollande se drape dans les droits-de-l’homme pour critiquer Sarkozy, oubliant au passage sa proposition de déchéance de nationalité et ses lois qui étendent déjà plus que de raison les pouvoirs des services de renseignement, sans grand succès en termes de lutte contre le terrorisme.
Sarkozy comme Hollande ciblent les noyaux durs de leurs électorats. Classes moyennes anxieuses face à la montée des périls d’un côté, à qui l’ancien président parle d’ordre et de répression. Fonctionnaires et musulmans de l’autre, à qui l’actuel président promet la défense du soi-disant modèle social français et de leur liberté à se conformer à l’intégrisme religieux.
Comme les médias préfèrent les couleurs franches aux couleurs pastels sur un écran vieillissant où les contrastes se voient moins, les premiers résultats sont au rendez-vous, au moins pour Sarkozy qui grignote l’avance de Juppé dans les sondages.
Sarkozy comme Hollande se disent que les Français finiront par se résigner à leurs incarnations immuables de la gauche et de la droite. Sarkozy espère que les électeurs centristes et les modérés ne feront pas l’effort de se présenter devant des militants «républicains» purs et durs qui les toiseront lors des Primaires de droite. Hollande croise les doigts, au contraire, pour que les plus énervés et gauchisants de ses anciens partisans répugnent à voter lors d’une consultation organisée par un parti socialiste qui les a trahis.
Bref, surplace et abattement seraient les vainqueurs paradoxaux d’une situation où la colère devrait pourtant gronder. Le système politique a atteint un stade de délabrement où même ses ennemis n’ont plus l’énergie de le combattre.
La dose minimum de bouleversement du jeu politique sera fournie par le Front national mais l’effet de surprise est largement éventé. Macron aura de grandes difficultés à obtenir ses 500 signatures puisqu’il veut mordre sur la gauche et la droite à la fois et aura en conséquence des adversaires farouches dans tous les appareils politiques qui terroriseront les élus locaux qui voudraient lui accorder leur parrainage. Montebourg, Mélenchon et Hamon risquent de s’entre-détruire.
Dans ce décor de gravats, la vie politique reviendrait alors à son visage de 2012.
Certes, ces conjectures peuvent achopper sur des événements imprévus. Tout d’abord, Hollande est tellement mal en point qu’il peut céder à la tentation, avec Cambadélis, de truquer les Primaires socialistes s’il sent que Montebourg le menace gravement. Les candidatures de rétorsion se multiplieraient et la gauche serait entraînée vers le fond. Symétriquement, les Primaires républicaines peuvent déraper à tout moment, particulièrement quand le vote et ses inévitables contestations offriront mille raisons d’accuser les autres candidats d’irrégularités.
Enfin, de nouveaux et graves attentats ou une crise financière peuvent bouleverser la donne d’ici mai 2017.
La réédition du duel Hollande-Sarkozy serait la démonstration éclatante de l’incapacité de la France à changer. Mais l’apathie et la résignation, dès lors que le vrai pouvoir a été transféré à Bruxelles, Francfort et Berlin, sont désormais les cartes maîtresses de candidats dont le slogan caché est un inquiétant : «Sortez les entrants !»