Atlantico : Votre livre revient sur la première année du quinquennat de François Hollande et décrit un "un écran de fumée qui ne s’est pas dissipé". Qu’entendez-vous par cette expression et pourquoi qualifier François Hollande « d’enfumeur » ?
Serge Federbusch : François Hollande agit fréquemment dans la dissimulation et les annonces contradictoires. Prenons, par exemple, son attitude vis-à-vis de l’Europe. On l’entend à la fois, en Allemagne au congrès du SPD, donner des gages de bonne volonté en expliquant qu’il va se conformer à la discipline que réclame Bruxelles. Et en même temps, il affirme à son retour que la France ne va pas se laisser imposer sa politique par l’Union européenne (UE). Il tient toujours un langage double et cela avait commencé quand il disait au Bourget qu’il était l’ennemi de la finance et à la City qu’il n’était pas dangereux, quasiment la même semaine.
Cette stratégie vise à être plus difficile à cerner et à critiquer. C’est une vieille tactique mitterrandienne. D’autant plus qu’Hollande a très peu de marge de manœuvre. Il essaye ainsi de s’en trouver dans la dissimulation. En un mot, il est volontairement illisible.
Par exemple, alors qu’il annonce qu’il va améliorer le statut des Roms en France, il multiplie les expulsions. Il navigue à la godille sur tous les plans. Ce rideau de fumée lui permet de gagner du temps mais son grand problème est qu’il ne sait pas vers quoi il se dirige. Il espérait en une reprise conjoncturelle, comme celle qui a sauvé Jospin. Mais c’est son drame : nos difficultés sont structurelles et ses subterfuges et manoeuvres ne lui servent plus à grand chose.
Qu’est-ce que « le mal français » auquel vous faites allusion tout au long de votre ouvrage ?
La France dispose d’un Etat extrêmement développé, boursouflé même, avec un pouvoir exécutif renforcé depuis de Gaulle. Conçu en 1958 pour tenir tête aux corporations, sa dilatation l’a conduit progressivement à rechercher des ressources fiscales supplémentaires en composant avec ces corporations qui brident les initiatives individuelles. La société est partout entravée. Et l’échappatoire européen lui-même, en permettant depuis quelques années un endettement à bas coût, n’a fait qu’accroître l’ankylose de cet Etat-corporatiste. L’élection de Hollande et sa méthode de gouvernement accentuent cette dérive.
Vous portez un jugement très critique sur le bilan de la première année de François Hollande à l’Elysée, quelle est sa part de responsabilité dans la situation actuelle ?
Il n’a pas fait, par prudence excessive, les bons choix stratégiques. Il faudrait à la fois taper du poing sur la table avec l’Allemagne pour en finir avec la surévaluation de l’euro et réformer la bureaucratie française. Il louvoie dans un étroit corridor en ne faisant vraiment ni l’un ni l’autre. Sa responsabilité n’est donc jamais énorme à court terme mais à moyen terme et à long termes elle devient de plus en plus lourde.
Il évite les choix difficiles en espérant que les choses s’arrangeront par miracle ou que la peur de la faillite française contraindra les Européens à nous renflouer. C’est un leurre.
Ainsi, les réductions de dépenses publiques concernent les budgets d’investissement plus que ceux de fonctionnement. Hollande ne s’attaque pas à la mauvaise graisse et il est revenu sur la timide réforme territoriale de Sarkozy. A court terme, il limite la casse mais il ne fait qu’aggraver un mal qui amène doucement la France à la catastrophe. Son agenda est toujours glissant. Il a repoussé les mesures sensibles (augmentation de la TVA, réforme des retraites, etc.) à la fin de l’année 2013 et multiplie commissions, parlotes et rapports.
Dans quel cas « l’Enfumeur » (François Hollande) peut-il devenir l’Enfumé ?
A partir du moment où sa stratégie devient trop floue, il finit par se perdre lui-même. Il met en place des usines à gaz comme la Banque publique d’investissement ou le Crédit d’impôt pour l’investissement et l’emploi qui ne fonctionnent pas ou des impôts en apparence confiscatoires qui dissuadent les entrepreneurs sans augmenter la masse fiscale. A force d’enfumer on est enfumé soi-même.
Pourquoi le principal allié de Hollande est d’après vous Charles de Gaulle ?
François Hollande profite de la stabilité et de la force des institutions de la Vème République pour se maintenir au pouvoir. Un scandale comme celui de l’affaire Cahuzac durant la IVème République aurait été soldé par une motion de censure et la démission du gouvernement tout entier. Le président lui-même aurait été durement touché.
Vous affirmez que le grand avantage de l’élection de Hollande « sera peut être qu’elle aura contribué à discréditer pour longtemps son parti et les pseudo-solutions qu’il propose ». Existe-t-il des solutions alternatives sur l’échiquier politique français ?
Hélas, aucun grand parti ne dit toute la vérité. Il faut trouver des marges de manœuvre vis-à-vis de l’Europe mais pour mieux se réformer.
Il faut à la fois être plus libéral et réformateur à l’intérieur et plus « souverainiste » à l’extérieur. Ce n’est ni facile, ni évident mais c’est la bonne solution. Aucun parti n’a cette dualité dans son programme. Aucun discours n’est entièrement cohérent aujourd’hui, il faut bien le reconnaître.
Pour conclure, pourquoi dites-vous que l’opinion publique française est perdue ?
L’opinion sent bien que la solution purement souverainiste mène à l’impasse. Le retour chaotique au franc provoquerait la volatilisation de l’épargne des classes moyennes.
Même si les gens n’ont pas forcément une totale compréhension des dossiers de part leur technicité, ils ont une forme d’intuition qui leur indique qu’aucun programme partisan n’est vraiment cohérent. Hollande, est l’incarnation de cette incohérence poussée à son paroxysme. Il dit tout et son contraire tout le temps.
Mais, pour paraphraser Lincoln : « On peut enfumer certaines personnes tout le temps (le noyau dur de son électorat), on peut enfumer tout le monde une fois (la majorité en 2012), mais on ne peut enfumer tout le monde tout le temps.»
Pour acheter l'Enfumeur, allez en librairie ou cliquez LA.
Lire l'interview sur Atlantico ICI.
Serge Federbusch : François Hollande agit fréquemment dans la dissimulation et les annonces contradictoires. Prenons, par exemple, son attitude vis-à-vis de l’Europe. On l’entend à la fois, en Allemagne au congrès du SPD, donner des gages de bonne volonté en expliquant qu’il va se conformer à la discipline que réclame Bruxelles. Et en même temps, il affirme à son retour que la France ne va pas se laisser imposer sa politique par l’Union européenne (UE). Il tient toujours un langage double et cela avait commencé quand il disait au Bourget qu’il était l’ennemi de la finance et à la City qu’il n’était pas dangereux, quasiment la même semaine.
Cette stratégie vise à être plus difficile à cerner et à critiquer. C’est une vieille tactique mitterrandienne. D’autant plus qu’Hollande a très peu de marge de manœuvre. Il essaye ainsi de s’en trouver dans la dissimulation. En un mot, il est volontairement illisible.
Par exemple, alors qu’il annonce qu’il va améliorer le statut des Roms en France, il multiplie les expulsions. Il navigue à la godille sur tous les plans. Ce rideau de fumée lui permet de gagner du temps mais son grand problème est qu’il ne sait pas vers quoi il se dirige. Il espérait en une reprise conjoncturelle, comme celle qui a sauvé Jospin. Mais c’est son drame : nos difficultés sont structurelles et ses subterfuges et manoeuvres ne lui servent plus à grand chose.
Qu’est-ce que « le mal français » auquel vous faites allusion tout au long de votre ouvrage ?
La France dispose d’un Etat extrêmement développé, boursouflé même, avec un pouvoir exécutif renforcé depuis de Gaulle. Conçu en 1958 pour tenir tête aux corporations, sa dilatation l’a conduit progressivement à rechercher des ressources fiscales supplémentaires en composant avec ces corporations qui brident les initiatives individuelles. La société est partout entravée. Et l’échappatoire européen lui-même, en permettant depuis quelques années un endettement à bas coût, n’a fait qu’accroître l’ankylose de cet Etat-corporatiste. L’élection de Hollande et sa méthode de gouvernement accentuent cette dérive.
Vous portez un jugement très critique sur le bilan de la première année de François Hollande à l’Elysée, quelle est sa part de responsabilité dans la situation actuelle ?
Il n’a pas fait, par prudence excessive, les bons choix stratégiques. Il faudrait à la fois taper du poing sur la table avec l’Allemagne pour en finir avec la surévaluation de l’euro et réformer la bureaucratie française. Il louvoie dans un étroit corridor en ne faisant vraiment ni l’un ni l’autre. Sa responsabilité n’est donc jamais énorme à court terme mais à moyen terme et à long termes elle devient de plus en plus lourde.
Il évite les choix difficiles en espérant que les choses s’arrangeront par miracle ou que la peur de la faillite française contraindra les Européens à nous renflouer. C’est un leurre.
Ainsi, les réductions de dépenses publiques concernent les budgets d’investissement plus que ceux de fonctionnement. Hollande ne s’attaque pas à la mauvaise graisse et il est revenu sur la timide réforme territoriale de Sarkozy. A court terme, il limite la casse mais il ne fait qu’aggraver un mal qui amène doucement la France à la catastrophe. Son agenda est toujours glissant. Il a repoussé les mesures sensibles (augmentation de la TVA, réforme des retraites, etc.) à la fin de l’année 2013 et multiplie commissions, parlotes et rapports.
Dans quel cas « l’Enfumeur » (François Hollande) peut-il devenir l’Enfumé ?
A partir du moment où sa stratégie devient trop floue, il finit par se perdre lui-même. Il met en place des usines à gaz comme la Banque publique d’investissement ou le Crédit d’impôt pour l’investissement et l’emploi qui ne fonctionnent pas ou des impôts en apparence confiscatoires qui dissuadent les entrepreneurs sans augmenter la masse fiscale. A force d’enfumer on est enfumé soi-même.
Pourquoi le principal allié de Hollande est d’après vous Charles de Gaulle ?
François Hollande profite de la stabilité et de la force des institutions de la Vème République pour se maintenir au pouvoir. Un scandale comme celui de l’affaire Cahuzac durant la IVème République aurait été soldé par une motion de censure et la démission du gouvernement tout entier. Le président lui-même aurait été durement touché.
Vous affirmez que le grand avantage de l’élection de Hollande « sera peut être qu’elle aura contribué à discréditer pour longtemps son parti et les pseudo-solutions qu’il propose ». Existe-t-il des solutions alternatives sur l’échiquier politique français ?
Hélas, aucun grand parti ne dit toute la vérité. Il faut trouver des marges de manœuvre vis-à-vis de l’Europe mais pour mieux se réformer.
Il faut à la fois être plus libéral et réformateur à l’intérieur et plus « souverainiste » à l’extérieur. Ce n’est ni facile, ni évident mais c’est la bonne solution. Aucun parti n’a cette dualité dans son programme. Aucun discours n’est entièrement cohérent aujourd’hui, il faut bien le reconnaître.
Pour conclure, pourquoi dites-vous que l’opinion publique française est perdue ?
L’opinion sent bien que la solution purement souverainiste mène à l’impasse. Le retour chaotique au franc provoquerait la volatilisation de l’épargne des classes moyennes.
Même si les gens n’ont pas forcément une totale compréhension des dossiers de part leur technicité, ils ont une forme d’intuition qui leur indique qu’aucun programme partisan n’est vraiment cohérent. Hollande, est l’incarnation de cette incohérence poussée à son paroxysme. Il dit tout et son contraire tout le temps.
Mais, pour paraphraser Lincoln : « On peut enfumer certaines personnes tout le temps (le noyau dur de son électorat), on peut enfumer tout le monde une fois (la majorité en 2012), mais on ne peut enfumer tout le monde tout le temps.»
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