Atlantico : Bonjour, derrière ce titre étrange, pouvez-vous résumer votre livre ?
SF : 229, c’est le nombre de propositions logiques qui s’enchaînent, phrase après phrase, pour tenter de répondre à une très vielle question : qu’est-ce qui différencie l’homme des autres animaux ? Mon intuition est que ce problème, s’il est clairement traité, permet de clarifier beaucoup de débats philosophiques ou politiques, même très concrets et très actuels, sur les comportements dits égoïstes ou altruistes.
En résumé, je me suis rendu compte que, dans l’ensemble des espèces animales, l’homme est celle qui peut le plus facilement se mettre en situation de péril face au risque de chuter et, en même temps, est physiquement la plus fragile en cas de chute. Les autres singes par exemple, sont le plus souvent quadrumanes, c’est-à-dire qu’ils utilisent leurs mains et leurs pieds avec une égale dextérité et sont plus souples ou plus robustes s’ils chutent dans leurs escalades. Les autres animaux peuvent beaucoup plus difficilement grimper et le font très rarement ou alors sont nettement plus résistants en cas de chute.
Atlantico : Et alors ?
SF : L’homme des origines va développer un rapport particulier, aigu pourrait-on dire, face à ce danger. Lorsqu’il grimpe à des arbres, ses sens ne lui permettent pas de circonvenir ce risque. Odorat, vue ou toucher sont défaillants pour apprécier les limites et contours de la menace qui l’entoure et qui est pourtant beaucoup plus grande que celle auxquels sont confrontés les autres animaux placés dans une situation semblable. Comment percevoir correctement un espace, un phénomène sans consistance physique et qui pourtant est lourd de périls ? L’immatériel acquiert ainsi une forme de substance via sa dangerosité. Pour y faire face, l’homme va inventer la notion de vide, un espace neutre et identique pour tous où aucun élément physique n’altère la perception des objets. Les hommes vont conceptualiser l’espace et ce qui le remplit en élaborant des idées qui toutes font implicitement référence à un vide universel dont elles s’extraient.
Atlantico : En quoi est-ce un raisonnement nouveau ?
SF : La philosophie, dès ses origines, s’est effectivement interrogée sur ce sujet. Démocrite ou Leucippe, par exemple, ont déclaré l’être du vide indispensable à l’existence de tout autre être. Mais ils étaient piégés par le fait que le vide n’était lui-même qu’un concept, un référent. Pour aller au-delà, il fallait intégrer les enseignements de la paléontologie contemporaine, à savoir que l’homme est un animal comme les autres, au léger détail près de son rapport au vide, en réalité à la chute.
Atlantico : Et donc ?
SF : Dès lors, le sable mouvant dans lequel la métaphysique s’enfonce, en particulier la distinction entre idée et matière, peut être consolidé.
C’est bel et bien une caractéristique physique qui est à l’origine de la capacité humaine à conceptualiser, mais cette capacité échappe à l’homme qui conçoit et acquiert une sorte d’autonomie dès qu’elle devient collective. Je l’ai nommée « sublimation ». Les premiers philosophes furent conduits à considérer que les concepts devaient être intangibles.
Leurs successeurs en ont tiré les notions d’être, d’essence ou de divin ; de conscience ou d’inconscience dont néanmoins ils ne parvenaient pas à comprendre pourquoi et comment elles échappaient à la volonté humaine.
Atlantico : C’est donc un ouvrage philosophique ?
SF : C’est une passerelle entre les progrès récents de la paléontologie et les questions classiques de la métaphysique.
Atlantico : Mais cette évolution ne s’est pas faite en un jour ?
SF : Certes. Je la relie à la catastrophe qui, nous en sommes désormais sûrs, s’est abattue il y a environ 70 000 ans sur l’espèce humaine, laquelle a alors frôlé l’extinction. Au moment de l’éruption du super-volcan Toba sur l’île de Sumatra, une sorte d’hiver de plusieurs années a affamé les animaux vivant entre les tropiques, notamment l’homme, qui fut contraint à de plus longs déplacements et à grimper plus haut dans les arbres, accentuant la fragilité précédemment évoquée.
Les hommes ont dû améliorer leurs processus de communication dans ce qu’ils ont nommé espace et temps ; élaborer des concepts reproductibles même sans contact physique direct entre eux, imaginer et décrire des situations où ils ne sont pas présents, etc. A partir de ce traumatisme initial, l’espèce humaine s’est engagée sur le chemin d’une relation toujours plus complexe entre son action et son environnement.
Du reste, la «révolution cognitive» mentionnée par les anthropologues et qui correspond à une rupture où Sapiens va faire des progrès énormes dans tous les domaines : langage, habitat, pratiques de chasse ou élaboration d’outils est tout à fait contemporaine de cette période.
Les mythes fondateurs : l’arbre de la connaissance dans la Bible, le manguier de Bouddha ou l’envol d’Icare par exemple, portent la trace de ce traumatisme collectif initial. L’arbre est une figure symbolique au centre de la métaphysique, qu’on retrouve jusque chez Descartes ou Heidegger.
Atlantico : En quoi est-ce d’un intérêt actuel ?
SF : Les institutions humaines et leur fonctionnement, y compris contemporains, conservent comme une sorte de carburant, cette relation où des individus, via les objets et les idées qu’ils produisent, peuvent interagir en tirant parti de leurs forces comme de leurs faiblesses, de leur étendue ou de leur limite. La plupart des notions qui nous embarrassent encore aujourd’hui comme celles de liberté, de marché, d’état, de démocratie, de beau ou de bien peuvent être redéfinies de manière originale.
Atlantico : C’est un vaste sujet pour un ouvrage bref et synthétique !
SF : Mon propos était d’ouvrir, dans le langage le plus simple et abordable possible, des débats et des chemins sur cet ensemble de questions. Nous sommes toujours dépassés et souvent perplexes face à nos propres idées, justement parce qu’elles naissent dans ce qui fait notre fragilité intrinsèque, dans ce qu’on nommait autrefois le « propre de l’homme ».
Atlantico : Ce n’est pas très grand public ?!
SF : A bon entendeur salut !
Pour commander le livre cliquez ICI.
SF : 229, c’est le nombre de propositions logiques qui s’enchaînent, phrase après phrase, pour tenter de répondre à une très vielle question : qu’est-ce qui différencie l’homme des autres animaux ? Mon intuition est que ce problème, s’il est clairement traité, permet de clarifier beaucoup de débats philosophiques ou politiques, même très concrets et très actuels, sur les comportements dits égoïstes ou altruistes.
En résumé, je me suis rendu compte que, dans l’ensemble des espèces animales, l’homme est celle qui peut le plus facilement se mettre en situation de péril face au risque de chuter et, en même temps, est physiquement la plus fragile en cas de chute. Les autres singes par exemple, sont le plus souvent quadrumanes, c’est-à-dire qu’ils utilisent leurs mains et leurs pieds avec une égale dextérité et sont plus souples ou plus robustes s’ils chutent dans leurs escalades. Les autres animaux peuvent beaucoup plus difficilement grimper et le font très rarement ou alors sont nettement plus résistants en cas de chute.
Atlantico : Et alors ?
SF : L’homme des origines va développer un rapport particulier, aigu pourrait-on dire, face à ce danger. Lorsqu’il grimpe à des arbres, ses sens ne lui permettent pas de circonvenir ce risque. Odorat, vue ou toucher sont défaillants pour apprécier les limites et contours de la menace qui l’entoure et qui est pourtant beaucoup plus grande que celle auxquels sont confrontés les autres animaux placés dans une situation semblable. Comment percevoir correctement un espace, un phénomène sans consistance physique et qui pourtant est lourd de périls ? L’immatériel acquiert ainsi une forme de substance via sa dangerosité. Pour y faire face, l’homme va inventer la notion de vide, un espace neutre et identique pour tous où aucun élément physique n’altère la perception des objets. Les hommes vont conceptualiser l’espace et ce qui le remplit en élaborant des idées qui toutes font implicitement référence à un vide universel dont elles s’extraient.
Atlantico : En quoi est-ce un raisonnement nouveau ?
SF : La philosophie, dès ses origines, s’est effectivement interrogée sur ce sujet. Démocrite ou Leucippe, par exemple, ont déclaré l’être du vide indispensable à l’existence de tout autre être. Mais ils étaient piégés par le fait que le vide n’était lui-même qu’un concept, un référent. Pour aller au-delà, il fallait intégrer les enseignements de la paléontologie contemporaine, à savoir que l’homme est un animal comme les autres, au léger détail près de son rapport au vide, en réalité à la chute.
Atlantico : Et donc ?
SF : Dès lors, le sable mouvant dans lequel la métaphysique s’enfonce, en particulier la distinction entre idée et matière, peut être consolidé.
C’est bel et bien une caractéristique physique qui est à l’origine de la capacité humaine à conceptualiser, mais cette capacité échappe à l’homme qui conçoit et acquiert une sorte d’autonomie dès qu’elle devient collective. Je l’ai nommée « sublimation ». Les premiers philosophes furent conduits à considérer que les concepts devaient être intangibles.
Leurs successeurs en ont tiré les notions d’être, d’essence ou de divin ; de conscience ou d’inconscience dont néanmoins ils ne parvenaient pas à comprendre pourquoi et comment elles échappaient à la volonté humaine.
Atlantico : C’est donc un ouvrage philosophique ?
SF : C’est une passerelle entre les progrès récents de la paléontologie et les questions classiques de la métaphysique.
Atlantico : Mais cette évolution ne s’est pas faite en un jour ?
SF : Certes. Je la relie à la catastrophe qui, nous en sommes désormais sûrs, s’est abattue il y a environ 70 000 ans sur l’espèce humaine, laquelle a alors frôlé l’extinction. Au moment de l’éruption du super-volcan Toba sur l’île de Sumatra, une sorte d’hiver de plusieurs années a affamé les animaux vivant entre les tropiques, notamment l’homme, qui fut contraint à de plus longs déplacements et à grimper plus haut dans les arbres, accentuant la fragilité précédemment évoquée.
Les hommes ont dû améliorer leurs processus de communication dans ce qu’ils ont nommé espace et temps ; élaborer des concepts reproductibles même sans contact physique direct entre eux, imaginer et décrire des situations où ils ne sont pas présents, etc. A partir de ce traumatisme initial, l’espèce humaine s’est engagée sur le chemin d’une relation toujours plus complexe entre son action et son environnement.
Du reste, la «révolution cognitive» mentionnée par les anthropologues et qui correspond à une rupture où Sapiens va faire des progrès énormes dans tous les domaines : langage, habitat, pratiques de chasse ou élaboration d’outils est tout à fait contemporaine de cette période.
Les mythes fondateurs : l’arbre de la connaissance dans la Bible, le manguier de Bouddha ou l’envol d’Icare par exemple, portent la trace de ce traumatisme collectif initial. L’arbre est une figure symbolique au centre de la métaphysique, qu’on retrouve jusque chez Descartes ou Heidegger.
Atlantico : En quoi est-ce d’un intérêt actuel ?
SF : Les institutions humaines et leur fonctionnement, y compris contemporains, conservent comme une sorte de carburant, cette relation où des individus, via les objets et les idées qu’ils produisent, peuvent interagir en tirant parti de leurs forces comme de leurs faiblesses, de leur étendue ou de leur limite. La plupart des notions qui nous embarrassent encore aujourd’hui comme celles de liberté, de marché, d’état, de démocratie, de beau ou de bien peuvent être redéfinies de manière originale.
Atlantico : C’est un vaste sujet pour un ouvrage bref et synthétique !
SF : Mon propos était d’ouvrir, dans le langage le plus simple et abordable possible, des débats et des chemins sur cet ensemble de questions. Nous sommes toujours dépassés et souvent perplexes face à nos propres idées, justement parce qu’elles naissent dans ce qui fait notre fragilité intrinsèque, dans ce qu’on nommait autrefois le « propre de l’homme ».
Atlantico : Ce n’est pas très grand public ?!
SF : A bon entendeur salut !
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